La journaliste Annabel Ross harcelée par les fondateurs de la Techno de Detroit

Alors qu’elle devait couvrir professionnellement le festival Movement Detroit 2022 pour nos confrères de chez Mixmag, la journaliste free-lance Annabel a été victime de censure de la part du festival sous la pression d’un des pionniers du genre de la ville : Carl Craig. S’en est alors suivi un cyber-harcèlement sur les réseaux sociaux orchestré par Carl, Derrick et Omar S. Explications et analyses.

Nous ne sommes que trop peu de médias à avoir propagé les écrits, témoignages et accusations de violences sexuelles à l’encontre de Derrick May, légende de la Techno de Detroit, publiés par la journaliste Annabel Ross. Face à cette inertie et à ce manque de courage de la part des médias que nous sommes, notre consœur en a payé les pots cassés il y a 3 semaines.

Toute l’histoire qui sera alors racontée ici provient de ce billet de blog écrit par Annabel. Cet événement est alors aussi grave qu’intéressant à traiter car il s’agit là d’un véritable cancel de la part d’un artiste faisant alors partie de l’histoire de la Techno, qui a pour démarche de faire choisir au festival-phare de la ville un DJ set Carl Craig ou bien une accréditation à la journaliste qui a révélé les délits sexuels d’une des plus grandes figures musicales de la ville. Comme alors dit dans le billet, Carl a dit : « c’est elle ou moi ». C’est alors avec un ticket d’entrée classique qu’Annabel s’est rendue sur place, alors comme simple festivalière. Cependant, il est à noter que Mixmag ne parle à aucun moment de cet incident dans leur critique du festival daté du 6 juin 2022, rédigé par Miles Raymer. On comprend alors l’explosivité du dossier mais on peut également critiquer que la rédaction n’a pas chercher à protéger sa reporter sur place, évitant alors de salir les mains. Peut-être qu’un communiqué viendra alors de leur part, suite à ce billet de blog.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Après le festival, les comptes Instagram de Carl Craig et Omar S publient alors un photomontage de Annabel apportant la tête de Derrick juste à côté de la journaliste titrant alors « Ces nanas supportent Derrick May, les gars ! », avec post et stories Instagram. La journaliste explique alors que les posts furent supprimés le lendemain mais les screens ont bien sûr pu être pris. Nous sommes là dans un cas avéré de cyber-harcelèment où 3 des hommes les plus puissants de Detroit et les plus influents de la scène Techno dans son histoire tentent d’intimider une journaliste qui a révélé près d’une dizaine d’affaires de violences et agressions sexuelles commis par l’un d’entre eux, compte tenu de leur audience et du nombre de followers qu’il amassent à eux trois, faisant alors preuve de « masculinité toxique« , concept psychologique qui décrit en partie comment et pourquoi se manifeste la complicité entre hommes quant bien même l’un d’entre eux commet un fait moralement et/ou juridiquement répréhensible. Malgré le retrait des publications, quelques centaines de personnes les ont liké et il est alors fortement probable qu’Annabel s’est prise une vague d’insultes par la suite.

Enfin, la journaliste anticipe les réactions (à juste titre) sur l’innocence présumé de Derrick aux yeux de la loi car non condamné à ce jour, et sur la sommation aux victimes d’aller porter plainte. Cette dernière, et nous également, rappelons que les délits et crimes sexuels ont de ça en commun entre les Etats-Unis et la France : ils sont excessivement mal traités par nos institutions respectives. Aux USA, il est estimé, d’après Annabel, qu’environ 31% des cas d’agressions font l’objet d’un dépôt de plainte, et que parmi ses 31%, seuls 2,8% arrivent à une condamnation de l’accusé. Soit en réalité 8 cas 1000 ! Les victimes ne seront alors statistiquement jamais gagnantes avec les systèmes juridiques actuels. Pour toujours plus de détails et d’explications, nous vous renvoyons sur notre dossier publié en début d’année sur le système patriarcal dans la musique électronique.

En définitive dans cette affaire, la principale personne à blâmer reste Carl Craig. Movement Detroit s’est retrouvé face un dilemme sordide, étant contraint de célébrer la Techno de la ville avec ses légendes qui se soutiennent mutuellement malgré les agressions commis par l’un d’entre eux … ou donner l’accréditation à Annabel Ross. Le choix ne pouvait qu’entre vite vu, compte tenu des enjeux politiques de l’événement. Mixmag s’est également plié également à ce rapport de force car Movement Detroit étant un symbole également politico-musical de premier plan en ce qui concerne la naissance de la Techno ainsi que le mélange culturel et ethnique que le festival représente dans son public, comme l’écrit Mixmag dans sa review du festival, cette célébration se devait d’être couverte médiatiquement.

Malgré toutes ces explications, et ces choix difficiles, il faudra un jour trancher ses questions une bonne fois pour toutes sur les artistes accusés publiquement de délits / crimes sexuels continuellement invités sur les stages de festivals et clubs, ainsi que les médias qui leur tendent le micro sans vouloir prendre position. « Le silence est le meilleur complice de l’agresseur ».

Retrouvez l’intégralité du témoignage d’Annabel Ross sur son blog.