Justice signe un retour en grande pompe avec le blockbuster « Hyperdrama »

Cinq ans après l’aboutissement du cycle de « Woman », dernier chapitre en date des aventures communes de Gaspard Augé et Xavier de Rosnay marqué par un virage pop notable et triomphalement ponctué par un Grammy Award, Justice célèbre son retour attendu en délivrant « Hyperdrama ». Un treize titres qui nous plonge dans une épopée mélodramatique et futuriste.

Entre temps, le groupe est devenu l’unique tête d’affiche de la french touch, désormais orpheline de ses parrains casqués, et semble pleinement assumer ce statut avec une promo XXL qui viendrait presque trancher avec la précaution et la pudeur dont les Justice se sont jusqu’ici parés pour construire leur mythologie si singulière.

Si Justice n’a pour autant jamais nié son accointance avec la pop culture, les parisiens s’affichent ces dernières semaines chez Quotidien, Le Monde, Télérama, Les Inrocks, Konbini, Brut, Canal+, Arte dans nos contrées aussi bien que sur Billboard, Mixmag, le NY Times, le Guardian et Apple Music à l’international. Une campagne pour un retour spectaculaire teasé depuis de nombreux mois par Pedro Winter, allant même jusqu’à glisser avec malice que le groupe serait de retour avec le meilleur album de sa discographie.

A la première écoute de « Hyperdrama », il apparait effectivement très vite que le groupe, à l’image de sa promo, s’est donné les moyens de proposer un opus spectaculaire, tout-terrain, plus flashy et maximaliste que jamais avec pour escorte un casting étoffé qui ouvre largement le champ des possibles pour le célèbre duo français. On retrouve ainsi sur la tracklist Tame Impala, Miguel, Thundercat mais aussi les moins médiatiques RIMON, The Flints et Connan Mockasin. Une première dans l’univers Justice jusqu’ici exempt de featurings, signe d’une certaine décomplexion et d’une volonté de franchir une étape dans l’enrichissement des horizons musicaux du duo.

S’il pourrait sembler risqué d’inviter de nouveaux venus dans le ménage d’un couple qui a tout réussi en travaillant dans l’intimité pendant près de deux décennies, le pari est rapidement payant avec des guests venus s’insérer dans l’univers de Justice et non l’inverse. Musicalement, comme nombre de ses pairs de la scène électronique francophone, le binôme semble resté sourd et insensible aux tendances et évolutions contemporaines de la pop et de l’électro, fidèle à son idée de travailler en étant dépourvu de toute connaissance préconçue.

Justice photographed March 13, 2024 in Austin, Texas.

C’est avec cet état d’esprit que le groupe est parvenu à créer un nombre certain d’instant classics depuis 2003, et sur « Hyperdrama », Justice exploite à merveille la liberté unique offerte par une carrière qui aura décollé dès son inception. Un luxe permettant au duo de pouvoir attendre aujourd’hui huit ans entre deux albums, de faire rêver sans lasser son audience, embarquant avec lui un Tame Impala venu se prêter au jeu loin de ses sentiers psycho-pop habituels.

Signe de ce lâcher-prise, « Hyperdrama » ne s’embarrasse pas d’introduction formelle et démarre sur les chapeaux de roues avec le titre le plus pop du projet, la délicieuse « Neverender » featuring Tame Impala, bien loin des « Genesis« , « Horsepower » ou « Safe and Sound« . On y retrouve une fraicheur funk et une candeur terriblement efficaces, bientôt taclées avec violence par la massive et ambitieuse « Generator ». Une track toute en intensité, armée de drops parsemés de switchs constants qui lui confèrent une énergie haletante, prenant en tenaille un break très Gaspard-ien.

Plus de quinze ans après « Cross », le cycle de la nostalgie semble donner une fraicheur nouvelle aux sonorités turbines qui auront dans leur temps enfanté de nombreux clones dans la scène bloghaus, jusqu’à l’écœurement. Les garçons l’ont visiblement eux aussi senti et renouent avec la fougue et l’énergie brute de leurs débuts.

Après l’élégant « Woman » et l’escapade solitaire de Gaspard Augé, on retrouve sur « Hyperdrama » un riche équilibre entre de nombreux éléments de la discographie du groupe. L’heure est venue de collecter les fruits d’années passées à développer différents concepts et obsessions auxquels le groupe fait de nombreux clins d’œil tout au long de l’opus. L’album est aussi coloré (à l’image de « Woman« ) que sombre (comme avec « Cross »).

En vingt ans, la recette n’a de toute façon jamais vraiment changé. Celle qu’on pourrait décrire comme une fusion subtile entre disco et hardcore exécutée avec la sensibilité et le romantisme propre à l’école française, est exploitée tout au long des 49 minutes de l’album. Laisser la pop s’inviter dans un univers sombre et torturé, c’est tout le sel de l’univers Justice, un contraste mis en exergue par la bipolaire « One Night / All Night » featuring Tame Impala, brouillant incessamment les frontières entre le heavy metal, le gabber et l’italo disco, entre la chanson pop et l’énergie rock d’un stade chauffé à blanc. Un morceau comme « Incognito » se déploie lui aussi via des synthés chaleureux qui sonnent tout droit sortis d’un studio analogique des années 1970 avant de bondir d’une décennie dans un souffle de machine palpitant et entraînant.

La pop suave, planante et relativement déstructurée de Justice se retrouve sur « Afterimage » et « Mannequin Love », tandis qu’on touche à l’univers de la bande-son sci-fi sur « Explorer » et « Moonlight Rendez-vous » et que « Dear Alan » se présente pour sa part comme un hommage aux loops magiques samplés par Alan Braxe. Malgré son intitulé, « The End », en featuring avec Thundercat, ne s’apparente pas non plus à une outro conventionnelle et se distingue par sa bassline vrombissante et son cachet assez chic.

A l’image de sa superbe cover réalisée par Thomas Jumin, « Hyperdrama » est une plongée immersive dans l’anatomie de l’appareil Justice, où l’énergie rock prend une fois de plus l’auditeur aux tripes, mais où la violence et la radicalité électronique contrastent avec la disco mélodramatique, formant un mélange hybride entre la froideur du réceptacle et l’énergie organique abritée dans celui-ci. Le supergroupe signe ici un passionnant testament au format album qui l’aura accompagné durant deux iconiques décennies . Avec sa variété entre sonorités de l’ADN Justice et nouvelles déclinaisons, « Hyperdrama » prend la forme d’un magnum opus venant condenser la quintessence de l’univers du duo.

En faisant le pari d’une direction moins monomaniaque, le choix de ne pas porter un seul propos mais une multitude, avec à la clé de quoi satisfaire ses différents publics sans perdre en cohérence, le tandem a idéalement digéré vingt ans d’une collaboration vécue comme l’une des plus saines de l’industrie musicale : deux passionnés qui n’ont pas perdu la flamme et dont le nouveau cycle sonne aussi frais et exaltant qu’à leurs débuts.

Un nouveau chapitre entamé comme souvent à Coachella, où le groupe a pris ses habitudes depuis les années avant de passer par bon nombre de festivals cet été, avec en point d’orgue un double Accor Arena à la fin d’année 2024. Deux dates remplies rapidement, signe de la confiance accordée par le public à un groupe qui malgré sa discrétion semble vieillir savoureusement, comme un bon cru, et pourrait bien ressortir de « Hyperdrama » plus grand que jamais.

Sorti chez Ed Banger