Ces dernières années, beaucoup de festivals (et beaucoup d’artistes également) ont simultanément et énormément investi dans leur scénographie. De prime abord, on pourrait considérer cela comme relativement logique et faisant partie d’une évolution assez linéaire. Toutefois, cela est dans certains cas poussé à un tel extrême que l’on comprend finalement qu’il y a un réel enjeu derrière tout l’esthétisme de ces décors parfois grandioses. Quel est-il ? Qu’est-ce que cela dissimule ? Est-ce uniquement à des fins lucratives ? Nous allons tenter de répondre à chacune de ces questions.
Pour commencer, on peut déjà dire que la musique électronique a été pionnière autant en termes de spectacle que d’esthétique visuelle. Quelques années avant l’explosion de l’EDM, les Daft Punk avaient impressionné le monde entier avec leur décor entièrement composé de LED comprenant en son centre une pyramide. Ensuite, ce ne fut pas un artiste mais plutôt un festival qui a repris cette idée d’offrir quelque chose de visuellement beau à son auditoire. En l’occurrence, il s’agit de Tomorrowland, qui constitue un cas d’usage intéressant.
En une dizaine d’années, sa scène principale (gargantuesque) est devenu un objet de fascination et un réel atout pour la franchise belge qui en a fait sa vitrine. Avec un narratif bien huilé, celle-ci change chaque année. Elle propose à chaque fois un thème et un univers différent avec un souci du détail bluffant. Nombreux sont ceux qui essayent de deviner quelle sera la prochaine à partir des indices savamment disséminés ça-et-là par les organisateurs. Nombreux sont ceux également, qui immortalisent leur venue en se prenant en photo devant celle-ci.
Par effet domino, chacune des nouvelles scènes devient virale sur les réseaux sociaux et contribue à alimenter l’envie de centaines de milliers de personnes de pouvoir également dire : « j’y étais ».
Néanmoins, dans le cas de Tomorrowland, cette volonté de proposer une esthétique parfaite ne se limite pas à la scène principale, mais s’étend à l’entièreté du festival. Que ce soit pour les scènes annexes ou simplement pour les lieux de restauration, cette logique se réplique partout. Cela contribue à créer une expérience immersive au cours de laquelle le décor plonge le participant dans un univers hors du temps une fois les portes d’entrée franchies. Tomorrowland, grâce à son goût poussé de l’esthétisme a réussi à faire de son festival « un monde fabuleux que des visiteurs embrassent comme la Terre promise » ainsi que le décrit le journal belge L’Echo. La musique, bien que centrale, n’est pas donc plus le seul attrait de l’évènement de Boom.
Le festival belge n’est pas le seul pour qui l’expérience visuelle est au centre du concept. En effet, il est inévitable ici de parler de Cercle, qui s’est fait connaitre en proposant des performances en livestream dans des lieux inédits où l’on n’aurait même pas envisagé la possibilité d’un DJ set : à bord d’une montgolfière, devant les pyramides de Gizeh, sous les aurores boréales en Laponie… Avec des artistes de renom, Cercle a mis en lumière des décors naturels ou historiques de toute beauté. En peu de temps, Cercle s’est démarqué et son idée, simple mais novatrice, s’est fait connaitre du monde entier. Grâce à cela, il a pu croître et se décliner en festival puis en label.
Dans les deux cas évoqués, on comprend l’importance de l’esthétisme dans l’attractivité d’un festival et/ou d’un concept. Quel est le revers de la médaille ? Un effort important, et pas uniquement financier. Ceux qui le racontent le mieux sont ceux qui organisent les show cités ci-dessus.
Construire les différentes scènes du festival n’est pas chose aisée. En effet, les équipes belges sont à pied d’œuvre dès le mois de janvier afin de préparer au mieux l’évènement. La mainstage nécessite à elle seule plus de 50 jours de travail sur place.
Debby Wilmsen, responsable communication de Tomorrowland dans une interview à Fun Radio
Au cours de cette même interview, elle indique également qu’en réalité, tout commence en septembre avec les premiers brouillons et dessins des scènes. L’idée est toujours de créer quelque chose qui soit spectaculaire et réalisable techniquement par des ateliers à Anvers qui fabriquent manuellement toutes les scènes.
Le fondateur de Cercle, Derek Barbola, abonde en ce sens : derrière des performances scéniques incroyables, il y a énormément de travail et de contraintes à surmonter. Dans une interview accordée à Bpifrance, il raconte l’anecdote du live de Møme au sommet de la Tour Eiffel, où toute la réussite du moment reposait sur un petit modem 4G qui devait résister aux interférences d’immenses antennes.
Il raconte également la « précarité » de chacun de ces shows dont le business model est assez fragile car il dépend énormément de financements extérieurs. Ce pari d’offrir des DJ sets dans des panoramas uniques au monde reste donc risqué, bien que gagnant dans ce cas de figure. De plus, les possibilités de nouveaux lieux insolites sont infinies ce qui assure la pérennité de l’idée.
Tout cela laisse à penser, à raison, que le concept n’est pas uniquement porté par l’appât du gain. De son propre aveu, Derek Barbola dit que la passion le guide et que Cercle a un objectif bien précis.
On organise souvent des concerts dans des musées ou des châteaux qui sont des lieux où les jeunes n’osent souvent pas aller et qui sont perçus comme étant réservés à « l’élite ». Grâce à la musique électronique, on fait vivre le lieu différemment et on attire ces jeunes. À l’inverse, la musique électronique a été à un certain point très stigmatisée. On essaye un peu de la sortir du monde de la nuit (…) en l’associant au patrimoine naturel ou culturel. On donne une autre image à la musique électronique.
Derek Barbola dans une inteview accordée à Bpifrance
Dans cette même philosophie, on peut également citer le Monumental Tour de Michael Canitrot. Ce dernier s’est produit en live dans différents lieux emblématiques du patrimoine français : le Mont Saint-Michel, le Palais-Royal ou encore… la Tour Eiffel. Dans quel but ? C’est le parisien qui le dit le mieux à notre micro.
Derrière le show de la Tour Eiffel, c’est un an et demi de travail. Quand j’ai créé ce concept, je voulais sortir la musique électronique de ses terrains d’expression habituels qui sont plutôt les clubs et les festivals. Le message était aussi de dire aux jeunes de préserver le patrimoine.
Michael Canitrot au micro de Guettapen TV
Maintenant que tout cela est dit, est-ce qu’une scénographie ou un lieu insolite sont indispensables à la réussite d’un festival, par exemple ? La réponse est non. La réussite d’un festival passe par l’expérience vécue par chacun(e) de ses participant(e)s. Nous avons pu en faire l’expérience au dernier festival Defected en Croatie qui nous a laissé un souvenir impérissable, sans qu’il y ait une mainstage de plusieurs dizaines de mètres de haut. La beauté de l’instant, de la musique et du moment ont tout fait !
Bonus : on s’est beaucoup concentré sur les festivals et sur le concept de lives en extérieur mais, en termes d’esthétisme, on pourrait aussi parler des shows de toute beauté orchestrés par les frères (français) Pissenem dans le monde entier. Exemple choisi…
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