Dossier : Eurodance, l’héritage

Ceci est le troisième et dernier opus de notre série sur l’Eurodance. Retrouvez les précédents ici et ici.

Le déferlement de la vague EDM sonne le glas de l’Eurodance ; place aux jeunes. Dans une industrie où bon nombre d’artistes sont des vétérans, souvent actifs depuis plus de 15 ans, la scène électronique se renouvelle avec l’arrivée des Avicii, Martin Garrix, Nicky Romero & co… De nouveau classée comme musique de foire, has-been voir infantile, l’Eurodance se fait discrète, mais elle ne va pas tarder à refaire parler d’elle.

La team reprise

Bon nombre des artistes EDM actuels ont grandi avec celle-ci, la génération suivante, elle, se fait doucement ronger par la nostalgie. Ces deux éléments vont suffire pour de nouveau faire carburer la machine. Avec ses mélodies et paroles aussi simples qu’addictives, c’est une terre fertile qui fait souvent mouche auprès du public, l’EDM n’y échappera pas et les reprises commencent timidement à faire surface. Delta Heavy reprendra intelligemment « Alexia – Number » en 2012 tandis que Guetta explosera à nouveau les classements avec « Play Hard » sa reprise de « Alice DJ – Better Off Alone ».

La version originale de l’italienne Alexia en 1997
La version de Delta Heavy en 2012

Après ce titre, le bal est ouvert et se conjugue sans surprise avec le manque d’innovation grandissant sur la scène EDM, après tout, «c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs confitures ». Tïësto fera un massacre de « L’amour Toujours », Lucas & Steve vont tenter une reprise de « Barthezz – On The Move » en y ajoutant un vocal quelque peu risqué. « ATC – Around The Wolrd » aura droit à environ un millier de version différentes, décrochant plus de 400 millions de streams pour la version de R3hab, preuve qu’il y a bien quelques coups à faire en remuant un peu la soupe.

L’originale, de l’an 2000
La version Lucas & Steve

On saluera les reprises aussi futiles que paresseuses de « Cascada – Everytime We touch » par Hardwell ou bien encore « Groove Coverage – Moonlight Shadow » par W&W, qui se contentent d’augmenter le BPM de 10 %. Guetta se risquera même à une reprise de « Eiffel 65 – Blue » en feat avec Bebe Rexha, qui malgré un remix de Brooks, finira à la poubelle. La palme revient tout de même à Gigi D’Agostino, qui 20 ans après le succès de l’originale et la reprise de Tiësto, fera de nouveau « L’Amour Toujours » un gigantesque hit.

Pour l’histoire, le jeune Dynoro s’amusait à faire des bootlegs dans sa chambre, principalement diffusés sur Youtube. Son mashup de « L’amour Toujours » avec le vocal de « In My Mind » sur une bassline slap-house va démocratiser le genre. Et propulser au passage le titre au-delà des 2 milliards de streams. Autant vous dire que la machine à royalties tourne à plein régime. Avec autant d’argent en jeu, bon nombre de labels de l’époque se sont réveillés, mettant enfin à jour Spotify et proposant des versions « updated » à la pelle.

L’originale, par un dieu vivant
Un Bootleg surcôté à 2 millards de streams

La team innovation

Trève de plaisanterie, c’est l’heure d’aller voir ceux qui proposent une eurodance 3.0 ! En tête de liste, impossible de ne pas citer Porter Robinson et son projet Virtual Self un hybride Trance, Gabber, Eurobeat, Jungle, une véritable fusion du spectre électro de la fin des années 90s, années 2000, souvent appelé Y2K. Porter ne s’en cache pas ; comme il l’a dit dans notre Grand Angle tout démarre dans une profonde nostalgie de l’époque, avec le souhait de proposer quelque chose de nouveau. Le pari est réussi, bien que de courte durée. « Eon Break » est un véritable bijou, « Particles Arts » frôle le sublime, avec son intro totalement pompée sur « War ich du » de Blümchen, autre icône de l’Eurodance.

Pour la sensualité linguistique, on repassera
Porter Robinson vit en l’an 3000

Beaucoup plus niche mais avec des répercussions plus importantes sur la scène internationale et pop, le mouvement PC Music. Initié par les anglais AG Cook et Danny L Harle, l’intégralité du label, de ses artistes et de son esthétique pointent vers le Y2K. On y retrouve les influences de l’eurodance dans les synthés, les voix ultra pitchées, les tempos rapides etc. Le collectif se réapproprie le style au point de former aujourd’hui ce qu’on appelle « L’Hyperpop ». Souvent vu comme une dérision, AG Cook rappelle que c’est loin d’être le cas, plutôt enclin à, lui aussi, sublimer les éléments de l’époque en y rajoutant un twist moins conventionnel.

Démarré en 2013, il n’a fallu que quelques années à AG et Danny pour convaincre bon nombres d’artistes pop de participer à l’ouvrage. Kim Petras, Tove Lo, Caroline Polachek et tout particulièrement Charli XCX ont fait confiance aux 2 compères, cette dernière réorientant complètement sa carrière autour du style. L’influence de PC Music et de son Hyperpop fera rapidement des petits, on pense à 100Gecs, Cookiie ou Hannah Diamond. Le duo de producteur a réussi à renverser la balance, rendant acceptables des sonorités précédemment jugées infâmes par l’opinion. On a d’ailleurs eu du mal à cacher notre plaisir lorsque la première partie de Kim Petras, au Trianon l’an dernier, consistait en un set d’une heure d’Eurodance/Hands Up.

Extrait du nouvel album de Danny L Harle
Hey QT, projet éphémère par AG Cook et SOPHIE

La team on change rien

C’est surement une sorte de Graal pour les amateurs du genre ; se retrouver face à des producteurs n’ayant pas changé la formule, après presque une décennie sans rien se mettre sous la dent. Ainsi, lorsque W&W ont commencé à sérieusement glisser dans cette direction, difficile de rester impassible. Hormis les reprises sans efforts, on note le superbe « Long Way Down » avec Darren Styles, ou encore les titres avec Axmo. On culmine totalement avec « Gold » qui semble sortir tout droit de la discographie d’Eiffel 65. Encore plus jeune, le belge Niviro semble aussi être l’un des héritiers de la Hands Up, preuve en est son titre « The Phantom » qui va jusqu’à prendre une chanteuse à la signature vocale quasi identique à celle de Cascada.

Eiffel 65 2.0
Cascada en sueur

Alan Walker est également un enfant de l’Eurodance, produisant ce qui semble être une version beaucoup plus accessible du Lento Violento, un style crée en 2005 par Gigi D’agostino, auquel il a consacré la moitié de sa carrière, sans jamais le démocratiser comme Alan Walker l’a fait. Les italiens Marnik prennent également une tournure Italodance, allant même jusqu’à collaborer avec Jeffrey Jey, le chanteur d’Eiffel65, ou même co-produire avec Gigi D’Agostino

Alan Walker et son Lento Violento grand public
Se prosterner devant Gigi chaque matin <3

Les jeunes producteurs salivent peut-être en dégustant le style, mais certains vétérans ont encore une belle part du gâteau. C’est le cas de Darren Styles qui aprés quelques années de silence, est revenu sur le devant de la scène, enchainant les collabs tout en faisant le tour du monde. Confiné à l’Angleterre et quelques rares dates à l’étranger, l’anglais connaît aujourd’hui un succès à l’international, sans avoir changé sa formule ! Cerise sur la gâteau, après maintes collaborations avec lui, le duo Da Tweekaz s’est offert « Electric Fox », un label 100 % UK Hardcore, offrant une nouvelle visibilité aux artistes d’anthologie, comme les nouveaux talents.

Au sommet de sa gloire en Angleterre en 2008
Toujours au top plus de 10 ans après

Pour conclure le volet discographique, impossible de ne pas s’arrêter sur le Melbourne Bounce.
Étrange mélange entre l’Eurodance et la Dirty Dutch, le style se démocratise avec des artistes comme Will Sparks, TJR ou Timmy Trumpet. Mais le véritable embryon de la Melbourne Bounce se trouve chez un certain Ton!c, qui n’est autre que le jeune américain Deorro. Alors simple producteur amateur, son titre « Big Fat » en free download sur Soundcloud, va rapidement devenir viral car utilisé en boucle sur des compilations d’accidents de voitures en Russie (difficile de faire plus aléatoire). Vite repéré, Deorro ne tardera pas à exploser, la suite vous la connaissez !

Deorro avant Deorro
Simple et efficace

En Europe, il n’a pas fallu attendre trop longtemps pour que les italiens reprennent ce qui leur revient et ce sont les frères VINAI qui exploseront sur la scène avec « Raveology » ou encore « Bounce Generation ». Dernier duo a avoir marqué le genre, et pas des moindre, difficile d’oublier les Chainsmokers et « Selfie ».

La nostalgie

La vague de nostalgie se traduit surtout par des tournées « Remember ». Le concept est simple, on ramène un plateau d’artistes sur une scène, pour qu’ils viennent interpréter leurs tubes phares le temps d’une soirée. Le meilleur exemple (aussi rance soit-il) en France est probablement Stars 80. En parlant de l’hexagone, une première tournée « Génération Dance Machine » se met en place en 2010, affichant Gala, Corona ou encore Larusso, le tout présenté par Charli & Lulu, autant vous dire qu’on fait difficilement plus kitsch. Exit donc les artistes à peu près qualitatifs et place au summum du has-been, il faudra aller à l’étranger pour de nouveau pouvoir s’immerger dans l’Eurodance. À saluer tout de même l’initiative de La Darude, une soirée parisienne qui fait honneur au spectre complet de l’Eurodance et probablement le seul endroit du pays où son écoute n’est pas un plaisir coupable.

Un peu Malaise TV quand même

Principalement originaire d’Italie, c’est là-bas que la nostalgie est la plus efficace. Les soirées euro/italodance reprennent timidement en 2010, mais dès 2015 le mouvement prend de l’ampleur. Fort de la réunification de l’équipe du « Deejay Time », une émission historique de la dance italienne, les anciennes et nouvelles générations se retrouvent et donnent lieu a des concerts au public souvent même plus nombreux qu’au pic de fréquentation de l’époque. Gabry Ponte, Eiffel 65, DJ Ross, Paps’n’skar et même les artistes quasi anonymes se retrouvent en tournée à travers tout le pays.

Il est nécessaire de préciser que certains acteurs du genre n’ont jamais vraiment quitté la tête des italiens, en effet, Gabry Ponte a continué une carrière solo en s’adaptant aux diverses tendances et joui d’une présence médiatique conséquente. Albertino, qui dirige le « Deejay Time » est encore en poste sur l’équivalent italien de NRJ, et son frère Linus n’est autre que le patron de l’antenne. Ces paramètres ont permis de garder une fanbase solide, tout en convertissant de nouvelles générations. L’éternelle diva qu’est Gigi D’Agostino se devait de faire mieux et reste aujourd’hui en tête d’affiche des festivals, son aura l’aidant à remplir aisément des salles de dix, voir vingt mille personnes.

4 Producteurs, que des hits Eurodance
Un Saint

Côté espagnol même son de cloche, bien que plus discret. La région de Barcelone fut un bastion de la Makina. Albert Neve, Abel Almena & d’autres se réunissent souvent lors des soirées remember Pont Aeri, avec pour seule règle, rien à moins de 170pm. L’Allemagne n’est pas en reste, le pays s’est souvent encroûté musicalement parlant, habitué à recycler les mêmes titres presque chaque année, ce qui en fait le terrain idéal pour de tels évènements.

Dans la région de Düsseldorf, il n’est pas difficile de trouver des soirées, voir festivals Hands Up (comme l’Easter Rave) avec DJ Gollum, The Hitmen ou Rob Mayth aux platines, tous noyés dans une joyeuse beuverie à 140bpm, hurlant sur du Cascada. La Hollande se fait un poil plus discrète, et on la pardonnera vu qu’elle est trop occupée à enchainer les succès EDM. Côté anglais, il faudra attendre un peu plus longtemps pour que l’élan Clubland reprenne son souffle ; Darren Styles, Ultrabeat, Filip&Fil, N-Force, la crème de la vague UK Hardcore et Hands-Up se retrouvent une fois encore dans des salles immenses au public déchainé.

Certains groupes auront même le luxe de pouvoir s’offrir des tournées internationales, Vengaboys, Aqua, Eiffel 65, Haddaway et bien d’autres, continuent de se produire aux quatres coins de monde avec des cachets parfois mirobolants, preuve d’un succès qui semble inépuisable.

Épilogue

Quelle épopée pour le genre ! Le mal-aimé de la musique électronique aura finalement eu des répercussions sur des dizaines de styles et plusieurs décennies. De la Techno aux premiers synthés japonais, en passant par la Trance ou le Hardstyle jusqu’à la pop mainstream et l’EDM, son spectre surplombe toute l’étendue de la scène électro.

Difficile de savoir ce que le futur a en stock pour l’Eurodance, aujourd’hui, le style semble à l’équilibre. Les nostalgiques ont la chance de voir ou de revoir leurs artistes favoris, tout en écoutant les nouvelles vagues et influences, il y a l’embarras du choix. Si vous êtes un fan du genre, avouez qu’il y a clairement moins à se plaindre qu’auparavant.

On espère vivement que cette trilogie editoriale a su vous éclairer sur l’Eurodance et son influence, peut-etre changer votre rapport au style, voir, encore mieux, vous convertir ! Une pensée aux anciens de id-music.net a qui l’auteur doit bon nombre de ses références.

Tiraillé entre un gout prononcé pour le Hardstyle et un amour pour la pop adolescente.