Grand Angle : Porter Robinson, Nostalgie Avant-Garde

Tel un félin, Porter Robinson semble avoir déjà vécu 9 vies. En une décennie, l’américain a su fidéliser autour de son originalité, construisant un univers aussi solide que varié, fidèle à lui-même, payant parfois le prix fort, mais jamais en vain. Humble et discret, l’américain nous reçoit pour disséquer son deuxième opus à fleur de peau « Nurture ».


Chez Guettapen on est fans de la première heure, cet entretien se prépare avec une certaine appréhension tant l’américain a jusqu’à présent été avare d’interviews. La visioconférence démarre, le temps pour le manager de rappeler qu’elle n’ira pas au-delà des trente minutes, et Porter restera dans l’ombre de son avatar tout du long. Ce qui semble être un question-réponse classique, va rapidement se transformer en un tourbillon de nostalgie.

Porter est fan de jeux-vidéos, c’est comme ça qu’il commence à composer dans sa chambre, imitant les productions entendues dans ses jeux favoris. L’entretien démarre avec un long échange sur la VR et les speed-run, preuve que le jeune artiste baigne encore et toujours dans cette culture. Aussi passionné par les nouvelles expériences que les jeux old-school, on comprends bien des choses sur sa carrière en l’écoutant parler longuement d’un jeu en bêta-test qu’il est en train de poncer.

La meilleure définition que l’on peut faire de Porter, c’est qu’il est un nostalgique avant-gardiste.
Dès ses débuts, il s’identifie rapidement à la Hands-Up, sorte d’Eurodance sous stéroïdes provenant de l’Allemagne. Il signera chez Yawa Records ses premiers titres sous le pseudo « Ekowraith ». C’est à cette même époque, sur le forum « Euroadrenaline », qu’il rencontrera l’un de ses plus fidèles acolytes, Madeon. Les deux compères se lient d’amitié et se font la main, créant déjà la surprise sur la scène Hands Up.
Alors que Porter raconte souvent que son premier set fut aux Etats-Unis, il a en fait eu lieu en Allemagne dans un club anonyme dans la campagne en banlieue de Dusseldorf.

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Pour moi c’était réaliser un rêve, j’avais à peine 18 ans, et je débarquais en Allemagne pour jouer ma musique et rencontrer mes héros de l’époque.

Porter Robinson

Ces mêmes héros vont vite comprendre que la carrière du Nord-Carolinien n’est qu’au stade embryonnaire, et lorsqu’il livre « Say My Name », un titre radicalement différent, et le premier sous son véritable nom, le minuscule label allemand Massive 808 va tout miser dessus. «Dès la sortie de Say My Name, j’harcelais mes amis pour que le titre rentre dans le Top100 Beatport. Lorsqu’il a atteint la position 97, le titre a commencé sa croissance ». Ici transpirent les prémices de tourments qui vont profondément impacter l’américain plus tard dans sa carrière.

Pour moi c’était la preuve qu’en étant obsédé par un objectif, quitte à en perdre le sommeil, il était possible de l’atteindre.

Porter Robinson

« Say My Name » propulsera Porter à la tête de l’engouement pour la musique électronique aux US, bien avant l’appelation EDM. Tiësto ne s’y trompe pas et le booke pour une tournée effrénée dans les campus universitaires US. Parallèlement, Skrillex le contacte pour qu’il sorte son premier EP « Spitfire », sur le nouveau né OWSLA. Lors de cette tournée le natif de Chapel Hill commence à dessiner les prémices de son univers. « J’avais envie de créer une sorte de DJ Set, focus sur les plus beaux éléments de la Trance, mixé avec de l’Electro violente, proche de ce que faisait Mikkas à l’époque ». De cette idée va naitre « Worlds » mais d’abord, et surtout « Language ».
« Comment mélanger la beauté de tel vocal, ou telle mélodie avec cette bassline etc.. je faisais de nombreux petits tests qui ont finalement construit « Language ». Cette même année, il composera « Poséidon » devenu « Clarity » avec Zedd, qui se transformera en hit monumental, récompensé ensuite aux Grammy Awards.

J’avais envie de créer une sorte de DJ Set, focus sur les plus beaux éléments de la Trance, mixé avec de l’Electro violente, proche de ce que faisait Mikkas à l’époque

Fort des ses précédents succès, Porter pense avoir trouvé la formule gagnante ; en s’obstinant à vouloir traduire les émotions les plus pures de l’enfance, de l’innocence, le tout dans un écrin de sublime, il arrive à proposer des concepts originaux. « Worlds » en est le point culminant. Effectuant un 180°, l’américain livre un album ambitieux, peut-être même difficile à comprendre pour le public EDM qui, en 2013, fonce tête baissée dans la Big Room ou le Dubstep. Ce nouveau virage va cimenter une communauté solide, qui va rapidement lui donner une stature quasi iconique.

« Shelter » viendra ensuite briser presque 3 ans de silence, célébration de la bromance entre Madeon et Porter. Laissant penser à un album, il ne sera en fait qu’un one-shot, offrant tout de même aux deux compères une majestueuse tournée mondiale à guichets fermés.

Alors que les fans continuent de spéculer sur un nouvel opus, Virtual Self entre en scène. Encore une fois, Porter mèle la nostalgie des influences Y2K, Trance, Eurobeat et bien d’autres, avec des propositions novatrices sur une scène en berne. Rien n’est le fruit du hasard, l’américain a peaufiné chaque détail de l’univers Virtual Self, ce qui lui vaudra une nomination aux Grammy Awards pour « Ghost Voices », et les applaudissements de bons nombres d’artistes, notamment Calvin Harris.

Je suis totalement dans la nostalgie, j’ai étudié longuement l’esthétique Y2K, je voulais ramener ces éléments Trance, voir parfois Gabber ou Jungle, tout en y mettant un twist et proposer quelque chose de nouveau.

Porter Robinson

L’obsession, c’est le talon d’Achille de Porter, diagnostiqué comme souffrant de troubles obsessionnels très jeune, le fardeau commence à peser, lui provoquant de terribles crises d’anxiété. « Nurture » est le fruit de ce chemin de croix entre lui et et ses démons. Porter raconte; « Pendant une période interminable, je ne pensais plus être capable de composer. J’ai donc coupé les ponts avec la réalité pour m’enfermer dans une bulle, pour que mon attention ne soit focus que sur la musique » S’ensuit alors une traversée des enfers, s’imaginant un destin funeste avec pour bourreau son propre égo. « J’étais le juge le plus sordide, chaque nouveau morceau n’était pas assez bien, rien n’arrivait à me satisfaire ». En parallèle, l’un de ses frères se fait diagnostiquer un cancer rare, enrayant, à juste titre, son mental et ébranlant le socle familial. Il trouve une partie de son salut lorsqu’il rencontre sa conquise, Rika, qui va l’aider à renouer avec la vie réelle en approchant son rapport à l’art sous un nouvel angle.

La famille sera également un élément clef « J’ai la chance d’avoir une famille très soudée, compréhensive et aimante, je suis conscient que c’est quelque chose de rare, c’est peut-être aussi pour ça que j’ai eu beaucoup de mal à quitter le cocon familial, d’ailleurs cette interview se fait depuis chez eux ». Remonter la pente a pris du temps, Porter songe presque à l’idée d’un livre pour détailler ce qui a fonctionné pour lui. Le mérite d’une partie de cette prise de conscience revient à Justin Vernon du groupe Bon Iver, qui lors d’une interview chez Zane Lowe, décrivait une situation d’angoisse face à la feuille blanche assez similaire.

Je pensais être le seul dans cette position, que j’étais cassé d’une façon singulière, mais lorsque j’ai entendu Justin Vernon raconter son parcours, et ses pires moments, j’ai compris qu’on pouvait aussi s’en sortir.

Ce cessez le feu entre Jeckyll et Hide s’incarne parfaitement dans le morceau « Musician ». Porter entame une conversation avec lui-même. Déclarant son amour pour la musique, se laissant enivrer par l’inspiration dès lorsqu’elle pointe le bout de son nez, laissant de côté le moindre aspect négatif.

« Get Your Wish » est du même acabit, mentionnant la tentation de la gloire en dépit de la substance, le forçant à garder les pieds sur terre au risque de faire une musique dénuée de sens.
Nurture est donc bien l’album de la maturité pour l’américain, trouvant enfin un équilibre entre ses défauts et ses ambitions, sa nostalgie et sa soif d’innovation. L’album est un ovni, baignant dans un océan d’instruments aux mélodies et sonorités qui semblent parfois naives voire enfantines à la première écoute, mais qui se conjuguent parfaitement à des textes lourds de sens. Si la musique ne suffit pas, Porter a encore fait la part belle à l’esthétique de l’ère Nurture, et lorsque l’interview s’achève, 30 minutes au-delà du temps imparti, il avoue déjà travailler le live show.

Maintenant que l’album est prêt, je planche activement sur l’expérience que mon public merite. J’ai déjà en tête ce que je veux accomplir et c’est terriblement excitant.

Porter Robinson

On laisse donc un Porter rêveur, visiblement soulagé et en paix, et c’est un peu ces sentiments qui nous traversent lorsqu’on se laisse aller à une écoute complète de cet opus.

Sabotage
Tiraillé entre un gout prononcé pour le Hardstyle et un amour pour la pop adolescente.