Dossier : Redécouvrez la French Touch, le mouvement de la house Made in France

Si vous écoutez de la musique électronique, la notion de French Touch ne vous est sans doute pas inconnue. Ce mouvement de la house Made in France a durablement marqué la musique électronique au-delà des frontières (qu’elles soient géographiques ou culturelles), à l’instar de la Nouvelle Vague dans le cinéma des années 50. En plus d’avoir trusté les charts du monde entier, la French Touch acquiert ses lettres de noblesses officielles (en 2005, Air, Cassius et DimitriFromParis reçoivent les insignes de chevalier des Arts et des Lettres) et s’expose dans les musées (en 2012, une exposition sur la French Touch a lieue au musée des Arts décoratifs; en 2019, une exposition Electro à la Philharmonie de Paris lui fait la part belle).

20 ans plus tard, la French Touch fait encore écho ici et là dans la musique que nous écoutons. On peut parfois être surpris d’entendre les sons inspirés sinon retravaillés de cette époque dorée, que ce soit en opening d’un set de confinement de Malaa (qui joue ce qui semble être une reprise d’Honey & Badger de ‘Together’ de DJ Falcon & Thomas Bangalter), que ce soit dans les dernières releases de Duck Sauce (le duo composé par Armand van Helden et A-Trak) ou que ce soit dans le dernier track de Boys Noize sur Defected. Ce vingtième anniversaire est l’occasion de revenir sur l’historique de ce mouvement et de s’interroger sur l’existence (ou non) de la French Touch 3.0.

Aux origines du terme

La genèse du terme ‘French Touch’ n’est pas extrêmement claire, de la même façon qu’il est difficile de dater précisément l’avènement du mouvement – vraisemblablement entre 1990 et 1995. Au sujet de la paternité du terme, deux histoires se confrontent: celle de Cerrone, producteur français de disco à succès, qui dit donner une ‘French Touch’ à sa musique (enregistrée en Angleterre et jouée par des musiciens américains), et celle d’Eric Morand qui conçoit pour F Communications (le label qu’il créé aux côtés de Laurent Garnier) une veste à laquelle est inscrite au dos: ‘We give a French Touch to house‘. C’est en tout cas un terme largement réemployé par les journalistes de musique anglais de l’époque pour parler des jeunes artistes français. Identifier l’entité qui l’a en premier utilisé ramène au débat entre l’oeuf et la poule.

Avec le succès planétaire des artistes du mouvement – dont nous parlerons par la suite – les publicitaires s’y intéressent de près et surfent sur la vague en réutilisant aussi le terme. A ce titre, la collaboration entre M. Oizo (alias Quentin Dupieux) et Levi’s autour du tube ‘Flat Beat’ en est le parfait symbole.

Musicalement, elle est définie à posteriori comme de la « pop house discoïsante dopée aux basses funky, des compositions électroniques (souvent), élégantes à la production (souvent) léchée » (Stéphane Jourdain, French Touch: Une épopée électro, 2015).

Les artistes et tubes emblématiques de l’époque French Touch

Il serait très difficile d’énumérer la liste exhaustive de l’ensemble des artistes (et tubes) ayant fait partie de la French Touch. A l’époque (fin des années 90 – début des années 2000), on pourrait presque dire que toute production française de musique électronique qui s’exporte est rattachée au mouvement. Ainsi, des artistes comme David Guetta (qui sort en 2002 son premier album Just A Little More Love) ou bien Laurent Garnier (pourtant pas fervent supporter du mouvement et qui restera sur le segment de la techno) y ont été associés.

Pour la plupart, tous se sont connus et/ou se sont croisés/fréquentés à Paris aux soirées du Palace ou aux Respect du Queen, notamment – soirées dans lesquelles des artistes comme Daft Punk pouvaient mixer gratuitement. La légende raconte d’ailleurs que Thomas Bangalter des Daft aurait donné un coup de pouce à David Guetta pour qu’il puisse signer son premier album sur EMI (qui appartient à Virgin).

Parmi les artistes les plus connus, on retrouve évidemment Daft Punk, Cassius (1999), Air, Etienne de Crécy (Super Discount), Dimitri From Paris, Bob Sinclar, Modjo, Motorbass, Fred Falke, Saint Germain, Stardust et The Supermen Lovers. Mais pour être complet il faudrait également citer Jess & Crabbe, Patrick Alavi, DJ Falcon, Alex Gopher… La liste est longue. Tous ont apporté leur pierre à l’édifice avec des morceaux qui aujourd’hui sont considérés comme intemporels ou incontournables. Nous vous en avons sélectionné quelques uns.

Daft Punk – Da Funk

‘Da Funk’ est sans doute la première pierre de la French Touch des néo-Daft Punk – dont le nom sera inspiré d’une critique de l’ancien groupe de rock, Darlin’, auquel ils appartenaient. Le titre, produit dans leur chambre, sort sous forme de maxi en 1995 (avec en face B ‘Rollin & Scratchin’) sur le label écossais Soma. Une claque auditive largement inspirée des raves de Beaubourg qui leur ont fait découvrir la musique électronique. La critique anglaise de l’époque est unanime face à morceau qui attire l’attention de Virgin France sur lequel ils signent en 1997 leur premier album ‘Homework’. Un all-time classic de la musique électronique que l’on ne se lasse pas d’écouter.

Stardust – Music Sounds Better With You

Il est quasi impossible que vous n’ayez jamais entendu ce titre auxquels ont été attribués bon nombre de superlatifs. Plus de vingt ans après sa sortie, ce morceau qui a été largement remixé (et copié par la même occasion), on peut toujours entendre le refrain ‘Oh baby, music sounds better with you’ ici et là. Mais l’histoire de cet anthem est assez méconnue. Stardust est ce que l’on appelle dans le monde anglo-saxon un one-hit wonder, un groupe composé par Alan Braxe, Thomas Bangalter (Daft Punk) et Benjamin Diamond (le chanteur) qui ne composera qu’un seul tube. A la fin de l’année 1997, les trois amis se retrouvent quelques jours avant une date du premier cité et décident de travailler sur un morceau avec un sample tiré du titre ‘Fate’ de Chaka Khan.

Le fruit de cette collaboration sera jouée pour la toute première fois au Rex, à Paris, le 11 décembre 1997. Il y reçoit un bon accueil, même si c’est à la Winter Music Conference de Miami l’année suivante que le morceau fera largement parler de lui, déchaînant les foules. Il sort officiellement quelques mois plus tard sur Roulé (mai 1998) en nombre assez limité de vinyles – et sera d’ailleurs ré-édité/remasterisé en 2019 par les trois compositeurs. Au total, plus de 2 millions de copies ont été vendues.

Modjo – Lady

Le succès de Stardust fera des petits et donnera des idées. Sortie en 2000, ‘Lady’ du duo Modjo pourrait être considérée comme la petite soeur de ‘Music Sounds Better With You’ quoique moins iconique. Le titre repose en tout cas sur la même idée que son prédécesseur: obtenir un sample de disco très accrocheur (en l’occurence, à partir de Chic – Soup For One), du rythme et des paroles un peu niaises très faciles à retenir (il faut l’avouer). Le succès est encore au rendez-vous – n°1 en Angleterre, en Suisse, en Irlande… – et on entend encore aujourd’hui ce morceau de temps à autre.

Bob Sinclar – Gym Tonic

‘Gym Tonic’ n’est aujourd’hui pas le titre le plus connu de la discographie de Bob Sinclar (nom inspiré par le personnage Bob Saint-Clar interprété par Belmondo dans Le Magnifique) et ce fut pourtant, à son époque, un vrai hit que l’on entendait dans chaque club d’Ibiza en 1998. Il a pourtant une histoire singulière et fut à l’origine de bisbilles entre Thomas Bangalter (encore lui), le producteur originel, et Christophe le Friant. Composé à l’aide d’un sample disco et d’un vocal de Jane Fonda, ‘Gym Tonic’ sera à l’origine d’imbroglio juridiques avec Jane Fonda (qui découvre que sa voix a été utilisée à son insu) et avec la moitié des Daft, qui n’avait pas donnée son accord pour la sortie du titre. Sur cette dernière bataille juridique, le mystère demeure. L’affaire se serait résolue une dizaine d’années plus tard.

On aurait également pu mentionner ‘So Much Love to Give’ de Thomas Bangalter et DJ Falcon, ‘Goldbass’ de Patrick Alavi, ‘Crack Head’ de Jess & Crabbe, ‘Intro’ d’Alan Braxe et Fred Falke, ‘1999’ de Cassius, ‘One More Time’ de Daft Punk… Et beaucoup d’autres. Tous ayant d’ailleurs pour point commun d’avoir une ligne de basse assez exceptionnelle.

Au cœur de la nouvelle vague, un personnage incontournable : Pedro Winter

Au fur et à mesure des années, les morceaux French Touch se multiplient et la hype s’essouffle, le public se lasse. Même les piliers du mouvement, les Daft Punk, récoltent des critiques mitigées à l’égard de leur album ‘Human After All’, sorti en 2005. Touchés mais pas coulés, le duo casqué revient l’année d’après avec ‘Alive’, une tournée grandiose qui clôture en apothéose, de Coachella à Paris, la première vague de la French Touch. Mais en même temps que cette page se tourne, en commence une nouvelle, celle de la deuxième vague de la French Touch. Le lien entre les deux s’appelle Pedro Winter et est décrit par le New York Times comme « le parrain de la scène électro française ».

L’ancien gérant du Fumoir au Palace (club parisien dont la direction artistique était gérée par David et Cathy Guetta à la fin des années 90) créé en 2003 (alors qu’il est toujours le manager des Daft Punk) son label Ed Banger Records. La même année a lieue la « soirée mythique de la raclette » (telle que la narre Stéphane Jourdain dans son livre French Touch: Une épopée électro, 2015) au cours de laquelle le fan de fromage rencontre chez un ami de So-Me (le graphiste d’Ed Banger), un peu par hasard, Gaspard Augé et Xavier de Rosnay. Le futur duo Justice fait écouter à Pedro Winter leur remix de ‘Never Be Alone’, qui tombe sous le charme instantanément.

Quelques années après cette rencontre, en 2007 très exactement, Ed Banger signe le premier album de Justice, ‘Cross’. On pourrait situer le point de départ de ce qui a été appelé la French Touch 2.0 à ce moment-là – comme un passage de relai symbolique, la dernière tournée des Daft s’arrête la même année. Une tournée mondiale succède la sortie de l’album dont les sons durs provoquent parfois en live l’hystérie des fans. Pour cet opus, les frenchies ont d’ailleurs eux aussi, à l’instar de leurs ainés, procédés à l’art du sampling – ‘Phantom’, par exemple, est un sample de la chanson ‘Goblin’ de Tenebre, repérée lors d’une soirée de Kavinsky à Londres. En 2008, Pedro Winter décide d’arrêter sa collaboration avec Daft Punk: une autre page se tourne.

Dans le sillon de Justice émerge une nouvelle scène électro française avec des artistes comme Breakbot, SebastiAn, TEPR, datA, Mr. Flash, Para One, Gesaffelstein, ou encore Yuksek. Elle constitue la French Touch 2.0 et redonne ses lettres de noblesse à la musique électronique produite dans l’Hexagone.

Une French Touch 3.0 ?

Si French Touch 3.0 il y a, elle n’est peut-être pas forcément là où on le pense.

Si l’on parle de la French Touch des débuts, qui tournait autour de samples disco et funk, difficile de considérer une troisième vague: il y a en effet relativement peu d’artistes français qui donnent un second souffle à cette idée d’une house groovy, tournant en boucle sur des basses funky, comme aux origines. Cette musique avant tout destinée aux dancefloors offre potentiellement moins de possibilités d’atterrir un jour sur les mainstages de festivals majeurs. Autrement dit, produire une house à base de disco fait moins rêver… Pour le moment !

Il existe évidemment des exceptions notables. En France, on ne peut inévitablement passer à côté de Mercer, la caution Neo Disco du crew Pardon My French (qui inclut également DJ Snake, Malaa et Tchami), qui confie lui-même avoir été bercé par les Daft Punk ou par des artistes moins connus du mouvement, comme Patrick Alavi. Il a d’ailleurs récemment remixé ‘Feel For You’ de Bob Sinclar, un autre des titres emblématiques de l’époque (qui tourne sur un sample de Cerrone). On pourrait également citer Dombresky, Arno Cost & Norman Doray, Mokoa, Boston Bun (‘Forty Deuce’) dans une certaine mesure ou encore Madeon, très inspiré par cette époque.

La French Touch ayant eu une résonance mondiale, on retrouve aussi des artistes étrangers qui eux aussi contribuent à faire perdurer cet esprit. Parmi ceux-là on pourrait citer pêle-mêle Roisto (‘Come On’), Wh0, Cavi (‘F The Disco’, ‘Tell You’), Friend Within (‘Lorla’), Low Steppa (‘You’re My Life’), PurpleDiscoMachine ou encore Duck Sauce (‘I Don’t Mind’).

Cela étant dit, il y a encore en France de nombreux producteurs talentueux qui brillent par-delà les frontières hexagonales, dans des styles différents, plus « modernes », et c’est ce que l’on pourrait considérer (aussi) comme la French Touch 3.0. Il serait long d’établir une liste exhaustive de ces derniers et l’on en a d’ailleurs déjà cités quelques uns (PMF notamment, qui s’est formé à Miami). On pourrait néanmoins citer les artistes Bass House des labels comme Confession ou Noir sur Blanc.

(Re)découvrir la French Touch aujourd’hui

Il existe un florilège de mix dédiés à la French Touch. Certains sont d’ailleurs très récents – on pense notamment aux mix de confinement de A-Trak ou de Bob Sinclar. Cela étant, si vous voulez re(découvrir) la French Touch, nous vous recommandons évidemment d’écouter notre mix, ainsi que celui réalisé par Boys Noize, qui compile la quintessence de deux labels de l’époque : Roulé (le label de Thomas Bangalter) et Crydamoure (le label de Guy-Manuel de Homem Cristo). Bonne écoute !

Guettapen French Touch Tribute

Boys Noize – Roulé & Crydamoure Mix