Interview avec ‎Paweł Błaszczak, compositeur des musiques des jeux « The Ascent » et « Dying Light »

VERSION FRANCAISE

On continue dans notre série d’interviews des métiers méconnus entourant la musique électronique avec cette nouvelle interview du dimanche. On sort cette fois des clubs et des festivals (faites un effort, vous allez y survivre !) pour se diriger vers l’univers du jeu vidéo. Compositeur des OSTs marquantes de jeux extraordinaires comme « Dying Light 1 », « Call Of Jurez » et « Dead Island », nous interviewons aujourd’hui l’artiste polonais ‎Paweł Błaszczak dans le cadre de son travail sur le jeu Cyberpunk The Ascent du studio suédois Neon Giants. Gros geek passionné de synthés, tant en hard qu’en soft, possesseur d’un magnifique Waldorf Quantum, fan des univers dystopiques et technologiques de « Blade Runner » et « Ghost In The Shell », il répond à nos questions.

Guettapen : Comment as-tu été approché par Neon Giants pour leur jeu « The Ascent » ? Comment as-tu imaginé les sons du jeu ?

Pawel Blaszczak : Je leur ai demandé s’ils étaient intéressés pour que je compose la bande originale. A partir de ce moment, je leur ai envoyé plusieurs démos. J’ai bidouillé ces sons Cyberpunk et Synthwave, et ils pensaient que je devais ajouter quelque chose d’original pour illustrer le monde de « The Ascent ». Tout d’abord, j’ai réalisé 7-8 démos … pour arriver à 15-20 tracks. J’ai vraiment adoré ce jeu et son monde parce que j’aime l’univers Cyberpunk de cette autre planète. J’ai donc créé beaucoup de morceaux qui collent à l’esprit du jeu. Les premières démos n’ont pas été gardées mais c’est habituel dans l’industrie. Et j’ai gardé le même sound design, les mêmes idées musicales et une atmosphère similaire pour tous les morceaux du jeu.

G : Le tout premier titre « Aeon Travel » contient tous les éléments principaux de l’OST : les vieux synthés DX-7 et CS-80, les percussions asiatiques et les puissants chœurs humains. Pourquoi ces choix ?

PB : « Aeon Travel » est la thème principal de « The Ascent ». Neon Giants m’a demandé : « Pawel, nous avons besoin d’un thème principal. » alors j’ai fait quelques versions. Nous avons fait 4 versions, et la première était au tout début de la collaboration avec le studio. Elle n’a pas été incluse dans le jeu et c’est habituel, parce qu’au début, on n’a pas une idée précise de l’ADN du jeu. C’était donc une piste temporaire. Après 2 ans, ils m’ont demandé plus de démos pour le thème principal, quand je commençais à mieux comprendre l’esprit et l’atmosphère du jeu, et qu’ils avaient d’avantage avancé dessus. Donc, j’ai fait les versions 2 et 3 et 4 et 5… et on est revenu finalement à la quatrième version un mois plus tard.

L’une des toutes premières versions est maintenant la piste finale de l’OST, comme piste bonus. Alors, pourquoi ces sons ? Pour ce titre, j’ai utilisé Sequential Circuits Pro-8 en raison de son son épique, avec une sensation « Ghost In The Shell » / « Blade Runner ». Mais dans mon style, je ne fais pas de thèmes épiques, je les ai appelés « des thèmes épiques intimes » parce que ce n’est pas de l’aventure directe avec des gros hits et des violons, et ce n’est pas un bon choix pour le morceau principal du jeu. On en a discuté avec Neon Giants et nous étions d’accords sur ce point. Ce grand monde n’avait pas besoin de grands thèmes épiques. C’est difficile à expliquer : dans « The Ascent », tout se passe très vite, beaucoup de soldats et de batailles et d’action. Mais ils meurent tous, donc il y a un sentiment sombre. Alors, c’est épique et mélancolique à la fois. C’est plus réaliste.

G : Comment as-tu imaginé l’arrangement et le temps de chaque piste ? Un morceau ambiant comme « Sterile Punk » est très différent de l’énergie brute de « Foreign Reach », même dans la structure.

PB : Le monde de « The Ascent » est comme si vous aviez ce truc underground, très organique et que plus vous montiez haut, plus vous avez des trucs high-tech, alors j’ai essayé d’illustrer ça avec ma musique en utilisant des sons sales, sanglants, organiques pour les bas-fonds et des sons cristallins pour la upper-city. J’ai fait le sound design environnement par environnement, en m’accaparant chaque atmosphère de chaque niveau. Et j’ai eu des idées sur la façon d’écrire chaque partie. Le studio a choisi de garder tel ou tel morceau ou pas, si les sensations étaient les mêmes. Quand j’ai fait le thème principal, ils m’ont demandé de répéter ce thème musical sur certaines pistes aussi. J’ai aussi décidé de ne pas faire les mêmes morceaux parce que je ne voulais pas que les joueurs s’ennuient. Toute la bande son doit être cohérente mais pas répétitive à ce point.

G : Le jeu contient différents environnements, des quartiers pauvres des réacteurs souterrains, à la CorpoPlaza et aux IA du dNexus. Comment as-tu imaginé chaque situation musicalement ?

PB : Pour les trucs underground, j’ai utilisé des synthés vintage comme Jupiter 4 et Prophet 5. Pour les niveaux plus « informatiques et high tech », j’ai utilisé des synthés crystallins et des synthés à tables d’ondes, avec des sons plus clairs quand on va aussi à CorpoPlaza. Dans la partie underground de la ville, vous n’avez pas d’ordinateur, ils sont moins présents. J’ai donc utilisé des synthés plus analogiques, des oscillateurs instables et des filtres et de saturation à bande mangnétique. Je suis un geek des filtres, j’ai tous les filtres sur mon boîtier modulaire avec des filtres Oberheim, Roland, Korg, Prophet… et des filtres plus exotiques.

G : Techniquement, as-tu choisi des presets ou as-tu fait ton propre sound design ?

PB : D’habitude, je fais beaucoup de presets moi-même, je les programme. J’ai utilisé le Waldorf Quantum qui sample les sons de mon DX-7 MK1 (qui est en 12 bits), j’ai mes propres sons dans mon Prophet 5 et Moog One. Mais j’aime aussi utiliser des presets externes parce que vous composez avec un seul cerveau. Et vous pouvez checker les sons faits par quelqu’un d’autre qui peuvent vous inspirer. J’ai choisi ce qui fonctionnait le mieux pour la musique du jeu. Vous ne devriez pas être fermé aux presets et suivre des règles strictes. Il était important de faire mes propres presets parce que quand vous avez un son coincé dans votre tête, vous devez créer le son qui correspond à l’esprit du jeu. Vous pouvez vérifier 200 presets et aucun ne représente le son que vous voulez faire.

G : Quels ont été tes synthés préférés et tes kits/machines de batterie préférés pour la composition de cette OST ?

PB : Pour « The Ascent », mes synthés préférés étaient le Waldorf Quantum et le Roland SH2. Je vais vous montrer mon studio [NDR : il nous montre alors une batterie de synthés : Waldorf Quantum, un rack modulaire, Moog One, Prophet 5, Clavia Nord Wave, Minimoog D, Monopoly, Roland SH2 et Jupiter 4, Sequential Circuits Pro-8, Yahama EX5 et TG77]. J’ai aussi utilisé des VSTs comme le Korg Polysix (très bon pour la Synthwave), Massive X, Serum, Repro 5 et le Roland Cloud. J’oublie aussi de mentionner que je suis un grand fan d’Elektron, j’ai utilisé l’Analog 4. Et j’ai tous les produits Elektron. Je n’ai cependant pas utilisé la synthèse granulaire dans la musique « The Ascent » parce que le processus en lui-même ne collait pas avec les sensations du jeu. Le SH-2 avec son arpégiateur a été beaucoup utilisé avec cette ambiance 80’s, avec un très petit decay pour avoir des sons percutants que les VSTs de Roland ne reproduisaient pas, sonnant plat et sans relief. J’ai fait la plupart des basses avec mon Minimoog D. En parlant du Waldorf Quantum, vous avez la possibilité d’utiliser des filtres analogiques qui sonnent vraiment sales. Ce n’est pas un synthé crystallin comme les autres synthés, il y a toujours cette vibe analogique. Mais j’ai déjà trop de synthés, j’essaie de garder ceux que j’ai déjà et de ne pas en acheter d’avantage [rires].

G : Fais-tu toi-même le mix et le mastering de l’ensemble de l’OST ?

PB : Oui, je l’ai fait. Si vous prenez de la musique Club, habituellement le kick et la basse sont des éléments centraux. Et si vous baissez le volume général de la musique, l’élément que vous entendrez toujours est le kick. Dans la musique guerrière de « The Ascent », quand vous avez les bruitages de coups de feu du jeu, la musique est sidechainée et vous n’entendez plus que les kicks. J’ai donc eu besoin de ne pas les laisser trop bruyants afin d’entendre les autres éléments du morceaux.

Mais dans les pistes ambiantes, il est vraiment difficile de faire le mix parce que vous n’avez pas la référence de kick. Et la track ambiant mixée assez forte ne sonne parfois pas bien. Et quand j’ai besoin de faire des tracks de bataille, je dois les faire sonner de façon agressive pendant 5 minutes consécutives et de les garder intéressantes. La musique Club est plus polyvalente, entre les moments agressifs et calmes. Mais pour la musique de jeu, vous ne pouvez pas faire cela pour la piste de niveau final, vous n’avez pas de moments pour respirer.

Les masters sont plutôt limités façon brick-wall pour l’OST parce qu’il y a des SFX qu’il faut mettre au-dessus de la musique, comme la voix off et les bruitages. Parce que ces éléments sont plus importants que la musique, dans le jeu. De plus, si vous prenez de la musique Club, vous devez être prudent avec les basses; alors que dans le jeu vidéo, je n’avais pas besoin de l’être. Parce que la plupart des joueurs vont jouer le jeu avec leur casque standard ou haut-parleurs de télévision qui ne sont pas très fidèles dans les basses, donc je pense que j’ai mixé plus fort dans les basses afin que l’on puisse les entendre.

G : Quels sont tes prochains travaux ? Travailles-tu sur certains projets en ce moment ?

PB : Je travaille sur « Forever Skies » du studio Far From Home, ce jeu est annoncé et est en accès anticipé. C’est un jeu de survie à la première personne, où un scientifique revient sur Terre, détruite par une catastrophe écologique. Et il vole avec un vaisseau spatial de haute technologie qu’il peut développer et réparer. un jeu assez cool ! Et je travaille sur un album personnel que je devrais finir mais je suis trop impliqué dans la musique du jeu en ce moment. J’ai de la musique sur mon Bandcamp et Spotify, avec de la musique horrifique et j’ai aussi 2 albums de chiptune. Mes albums les plus importants sont « Der Weg » et « Prophet 5 meets Minimoog D ».

Retrouvez la musique de Pawel ici : Bandcamp / Spotify

ENGLISH VERSION

Guettapen : How did you get approach by Neon Giants for their game « The Ascent » ? How did you imagine the sounds of the game ?

Pawel Blaszczak : I asked them if they were interested in me writing the soundtrack. And after a while, I sent a lot of demos. I wrote that Cyber and Synthwave stuff, and they think I should add something original in order to show the world of « The Ascent ». Firstly, I did like 7 to 8 demos … ending up to 15-20 tracks. I really loved this game and its world because I like Cyberpunk on this other planet. So I created a lot of tracks in order to fit in. The first demos haven’t been kept but it’s usual in video games. I did the same sound design, same musical ideas and atmosphere for the tracks in the game.

G : The very first track « Aeon Travel » contains all the big elements of the OST : old DSX and CS-80-like synths, Asian-sounding percussions and powerful human choirs. Why those choices ?

PB : So, « Aeon Travel » is the front-end track. Neon Giants asked me : « Pawel, we need a front-end track. » and I made couple of versions. We did 4 versions, and the first one was at the beginning of the collaboration with the studio. It didn’t happen to be in the game and it’s usual, because at the beginning it’s not showing the DNA of the game. It was a temporary track. So after 2 years, they asked more front-end tracks when I understood the feeling and the atmosphere of the game better, and they had the game more finished. Then, I made version 2 and 3 and 4 and 5 … and back to the forth version a month after.

But also, one of the first versions is now the final track of the OST, as bonus track. So, why those sounds ? For this track, I used Sequential Circuits Pro-8 because of its epic sounding, with « Ghost In The Shell » / « Blade Runner » feeling. But in my style I don’t make epic themes, I called them « intimate epic » because it’s not straight forwards epic with big hits and strings, and not good for the front-end track. We told with Neon Giants and we both agreed. This great world didn’t need a big epic theme. It’s hard to explain : in The Ascent, everything happen very fast, many soldiers and battles and actions. But they all die, so there is a dark feeling. So, epic and melancholy meets. It’s more realistic.

G : How did you imagine the arrangement and the time of each track ? An ambiant track like « Sterile Punk » is very different of the raw energy of « Foreign Reach », even in the structure.

PB : The world of « The Ascent » is like you have this underground, very organic and you go higher you have hight-tech stuff, so I tried to follow this with my music. Using dirty, bloody, organic sounds for the bottom and crystal sounds for the upper-city. I made the music environment by environment, catching each atmosphere at each level. And I had ideas of how to write each part. And the studio chose to keep the tracks or not, if the feelings were the same. When I made the main theme, they asked me to repeat this theme on some tracks too. Also, I decided to not doing the same tracks because I didn’t want the players feeling bored. All the soundtrack must sound cohesive but not repetitive.

G : The game contains various environments, from poor districts to underground reactors, from the CorpoPlaza to the IA computers of the dNexus. How did you imagine each situation musically ?

PB : For the underground stuff, I used vintage synths like Jupiter 4 and Prophet 5. For more « computer levels », I used more crystal and wavetables synths, with more clear sounds when you also go to CorpoPlaza. In the underground, you have no too many computers, they are less presents. So I used more analog synths, instable oscillators and filters with tape saturation. I’m a filter nerd, i have all filters on my modular case with Oberheim, Roland, Korg, Prophet filters … and less known ones.

G : Technically, did you chose presets or did you make the sound design yourself ?

PB : Usually, I make a lot of presets myself, I program them. I used the Waldorf Quantum that sampled DX-7 MK1 sounds (which is 12 bit), I have my own sounds in my Prophet 5 and Moog One. But I also like to use presets because when you’re composing having just one brain. And you can check sounds made someone else that can inspire you. I chose what worked the best for the music of the game. You shouldn’t be close and follow strict rules. It was important to make my own presets because when you have a sound stuck in your head, you have to create the sound that fits the purpose of the game. You can check 200 presets and no one represents the sound you want to make.

G : What have been you fav synths and fav drum kits/machines for this OST ?

PB : For « The Ascent », my favorite synths were the Waldorf Quantum and the Roland SH2. Let’s me show you my studio [Waldorf Quantum, modular rack, Moog One, Prophet 5, Clavia Nord Wave, Minimoog D, Monopoly, Roland SH2 and Jupiter 4, Sequential Circuits Pro-8, Yahama EX5 and TG77]. I used software too, like Korg Polysix (very good for Synthwave), Massive X, Serum, Repro 5 and the Roland Cloud. I also forget to mention I’m a big fan of Elektron, I have use the Analog 4. And I have all Elektron products. I didn’t used granular synthesis in « The Ascent » music because the process itself didn’t capture the feelings of the game. The SH-2 with arpeggiator was used a lot with this 80’s vibe, with really small decay to have punchy sounds that Roland VSTs didn’t reproduce, sounding flat. I made most basses with my Minimoog D. Speaking again about Waldorf Quantum, you have analog filters that are dirty. It’s not a crystal-clear synth like others synths, there is always this dirtiness. But I already have too much synths, i try keep those I already have and not buy more [laughts].

G : Did you make the mix and mastering of the entire OST ?

PB : Yes, I did. If you take club music, usually kick and bass are front elements. And if you lower the general volume of the music, the element you will always hear is the kick. In the battle music of « The Ascent » that’s it : when you have weapons sounds, the music goes down with the sidechain and you only hear kicks. So I needed to not let them too loud in order to hear other elements very present in the mix. But in ambiant tracks, it’s really hard to do the mix because you don’t have the kick reference. And loud ambiant track sometimes doesn’t sound good. And when I need to make battle tracks sounding constantly aggressive for 5 minutes and interesting. Club music is more versatile, between aggressive and calm moments. But for game music, you can’t do that for the final level track, you don’t have any moments to breathe.

The masters are quite brick wall for the OST because there are SFXs that you must put above the music, like voice-over stuff. Because those elements are more important in the game than the music. If you take club music, you have to be careful with basses; and for the game, I didn’t need to be. Because most players will play the game in their standard headphones or TV speakers, so I think I made more bass in order to hear those.

G : When will be your next works ? Are you working on some projects right now ?

PB : I’m working on « Forever Skies » of the studio Far From Home, this game is announced and will be on early-access. It’s an first person survival game, about a scientist returning on Earth destroyed by an ecological disaster. And he’s flying with an high-tech spaceship he needs to expand and repair. Pretty cool game ! And I’m working on a personal album that I should finish but I’m too much involved in the game music at the moment. I have music on my Bandcamp, with some horror music and I also have 2 chiptune albums. My most important albums are « Der Weg » and « Prophet 5 meet Minimoog D”.