Dossier : Pourquoi les femmes sont-elles si peu représentées dans la musique électronique ?

Quand on s’y attarde, le milieu de musique électronique compte très peu de figures féminines glorifiées au même niveau que les hommes. Les rares figures d’exception se comptent sur les doigts de la main : Alison Wonderland, Nervo, Rezz, pour parler des plus connus par notre communauté. DJ MAG annonce en 2018 un TOP 100 DJs contenant seulement 6% de femmes. La question est légitime à être posée : quelles sont les origines ? D’où vient cette différence ? Pour élaborer une réponse, nous allons essayer d’établir les racines du problème, puis une analyse du traitement scénique des femmes DJ/Productrices d’un point de vue mainstream et underground.

Une des vidéos qui nous a mis sur la voie d’une possible réflexion et explication sur le sujet est la suivante :

Outre le titre vague et apparemment sans rapport, le contenu nous intéresse car fait beaucoup écho à notre milieu musical (et à bien d’autres). Une explication première serait donc d’ordre socio-culturel dans la mesure où tout domaine touchant à la science serait davantage un domaine masculin, qui aurait comme conséquence la sur-représentation des hommes et qui aurait pour cause un héritage culturel s’étalant sur des siècles d’image et d’idées stéréotypées par les mythes, les religions et donc, par extension, par l’évolution de(s) société(s). Les hommes jadis, ayant notamment des qualificatifs supérieurs liés à la raison, à la pensée, les femmes s’attribuent à leur tour cette image grâce à la musique électronique avec la maîtrise des synthétiseurs (alors que des noms comme Éliane Radigue ou Pauline Oliveros rivalise historiquement avec Pierre Henry ou Jean-Michel Jarre) et des outils permettant la création sonore.

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Pauline Oliveros en Septembre 1970 aux commandes d’un modulaire, composant des drones

Si aussi peu de femmes tentent l’aventure de production musicale, qui requière aujourd’hui compétences en mixage, sound-design, arrangement, mastering et connaissances complémentaires, c’est en grande partie car ces dernières manquent de figures d’égale notoriété dans le milieu. Des exceptions comme peuvent l’être Paula Temple, Rebekah, Miss K8 ou Korsakoff ne suffisent pas à faire naître une confiance en soi suffisante pour qu’une égalité parfaite puisse se manifester. Un argument faussement objectif consiste à sélectionner les morceaux que l’on aime sans en regarder l’auteur.e, mais cela est sans compter que sur les 10 tracks tirées au sort sur Beatport, tous genres confondus, 9 sont produites par des hommes.

Cela revient à penser que pour ne plus avoir de problème, il suffit de l’ignorer de base, ce qui peut faire l’objet d’un débat très intéressant car pas si évident. Une idée par extension inspirée dans la vidéo ci-dessus et qui mériterait débat de fond serait l’instauration d’événements réservés aux femmes (tant au niveau public que DJ) dans le but de briser le manque d’estime que pourraient avoir celles qui voudraient tenter l’aventure sans recevoir de préjugés.

Des initiatives sont cependant mises en place et salutaires. Notons par exemple le Drumcode Festival de Adam Beyer, qui en 2017, avait fait assurer 3 des 4 closings de stages par Amélie Lens, Nicole Moudaber et Ida Engberg. Des soirées « All Night Long » sont assurées par des femmes, et sans oublier la line-up Techno de l’EMF qui fût 100% féminine, cette année. Avec toujours en tête le doute quant à la sincérité des organisateurs à promouvoir ce genre de manifestation, être sûr que la cause sert celles qui en ont besoin et non pas des intérêts prioritairement financiers. Sont-elles cependant suffisante ? La question reste entière mais certains apportent des réponses.

Un problème également notable est la sexualisation des corps que notre société instaure. Ce qui arrive à des situations où le corps devient argument de promotion et devient l’objet de vente que l’on communique. L’ambiguïté atteint alors son paroxysme en faisant sauter la frontière entre promotion et vie personnelle, qu’elle soit à l’initiative des artistes ou de leur management.

Nervo se mettant en topless dans le cadre d’une récolte de votes pour le classement DJ Mag de 2018

L’appréciation de toute publication de ce genre s’attirera toujours le doute de la communauté en raison de son ambiguïté entre post putaclic ou émancipation appelant à la fin des préjugés, mais avec une invitation au soutien (lien pour vote, stream, vente de morceaux …) en but final.

Nous pouvons citer quelques cas de prises de parole et de position de la part d’artistes et de blogs en la matière qui méritent d’être considérés, pour étayer notre sujet :

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Citons en premier cas celui de Paula Temple dans son interview de 2014 pour Trax, suggérant que le problème de la représentation des femmes vient des « propriétaires des labels, aux promoteurs et aux DJs techno déjà bien établis qui ne veulent pas parler de ce problème », en soulignant « qu’ils ont le pouvoir de changer les choses. », tout en posant la question qui fâche : « Qu’est-ce que ça leur apporterait de changer après tout ? ». En effet, si c’est en montrant d’avantage les femmes qu’une véritable égalité peut voir le jour; doit-on passer par l’équité dans un contexte court-termiste ? Que ça soit une question à adresser au spectateur ou au promoteur.

Notons également un geste dont Guettapen avait parlé : Resident Advisor a arreté ses classements de popularité car ces derniers n’étaient pas du tout représentatifs de la diversité de la scène. Ils résument ainsi : « La scène underground a changé mais pas nos classements ». Ce choix est une démonstration des différences qui peuvent exister entre la réalité des scènes et celles des classements de popularités. Raison de plus pour souligner leur absurdité, au mieux leur inutilité. La question des minorités, bien que tout aussi intéressante, sera abordée dans un dossier futur.

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Enfin, nous allons évoquer « Pink Noises : Women on Electronic Music and Sound« , une livre de 2010, où Tara Rodgers, productrice et auteure, s’entretient avec 24 femmes DJs/Productrices qui s’expriment sur leur condition d’artistes sonores. Tara elle-même débute l’introduction en associant « le déni du sexe féminin à sa sous-représentation dans les médias et dans l’histoire » (et permettez-nous de rajouter « et de nos jours, dans les blogs également »). Les figures mainstreams masculines ont un monopole totale sur la scène globale, bien qu’une observation microscopique genre par genre montre qu’un équilibre tend à s’imposer dans les sphères, par exemple Techno et Hard. Le résultat actuel est loin d’être satisfaisant d’un point de vue purement statistique mais l’évolution est là. Reste à savoir si cela se fait assez vite.

En conclusion, plusieurs pistes ont été évoquées ici, entre les événements féminins uniquement, la parité dans les programmations de clubs et festivals et l’évolution des mentalités en général. Ce dossier a tenté de dresser un récapitulatif de la situation actuelle qui est certes sur la bonne voie, mais avec une progression discutable. Les minorités tout aussi moquées et méprisées pendant des siècles accèdent également à une reconnaissance grandissante sur la scène, qui ne demande que consolidation et affirmation.

Techno Van

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