Rencontre avec Oden & Fatzo : la nouvelle tête de proue de la scène House française

En l’espace de quelques années, Oden & Fatzo ont traversé un chemin étonnant, passant des soirées parisiennes confidentielles aux scènes House prestigieuses de Londres, Ibiza ou d’Amérique du Nord. Un parcours pourtant loin d’être écrit d’avance. Près d’un an après la sortie de leur dernier single « Lady Love », le trio qui incarne le nouveau visage de la scène house française présente son digne successeur avec « Tell Me What You Want » et revient avec nous sur une folle épopée.

Depuis le succès renversant de « Lauren » à partir de 2020, ce groupe singulier, toujours vêtu de ses combinaisons d’astronautes, a su saisir l’opportunité de s’imposer comme les têtes d’affiches d’une nouvelle génération tricolore qui exporte son groove de part et d’autre du monde. A l’image de profils tels que Dombresky ou Folamour, les Oden & Fatzo marchent en partie dans les pas des ces derniers en rejoignant notamment les rangs du label britannique iconique de la House, Defected Records.

Comme peuvent encore en témoigner leurs comptes Instagram respectifs, Oden & Fatzo s’est formé de manière assez inédite à partir de deux projets distincts : Oden (un duo composé de Abel Drouet et Alexandre Dessaux aka Denver) et Fatzo (ex-duo désormais défendu en solo par William Fattori). La relation entre le trio ne fut un temps que celle de lointaines connaissances de la scène underground parisienne que les aléas de la vie d’artiste ont un jour amené à faire front commun.

“On jouait tous sur le même festival. Lorsque celui-ci n’a pas voulu nous payer, on s’est serré les coudes pour essayer d’obtenir gain de cause et c’est dans ce contexte qu’il y a eu un rapprochement et qu’on a commencé à faire de la musique ensemble” explique Abel. A cette époque, ce quatuor naissant existe d’abord en studio, avant que ses productions communes l’amène à se réunir sur scène avec une première invitation émanant du collectif Pisica.

Être en groupe, c’est apprendre à mettre son ego de côté. On s’embrouille sur plein de sujets, mais jamais sur la direction artistique du projet. On a vite appris à prendre chacun notre place et à savoir comment servir l’intérêt de la musique. Quand tu es bienveillant, dans l’écoute et dans le dialogue, tu ne peux jamais te rater collectivement.

Oden & Fatzo

Si l’identité de ce boys band atypique est aujourd’hui lisible autour d’un axe French House clairement identifié, le background des trois larrons est cependant aussi divers que varié, mêlant House, Minimale, Jungle, Breakbeat ou UK Garage avec une énergie turbulente qui ne fonctionne jamais aussi bien que lors des performances live du groupe. « On est très inspiré par le Rap. L’énergie, l’esthétique, même dans le mix, on essaye de se confronter à d’autres façons de composer, et c’est hyper intéressant quand tu combines ça à de la Minimale, ça apporte de la fraîcheur » indique William.

Des origines, Hip-Hop mais aussi Funk, registre qu’a pu explorer William par le passé: “La funk s’est imposée tout bêtement car j’ai été batteur de funk plus jeune. On s’est rendu compte qu’avec un petit extra-step, quand tu mets de la funk dans la minimale tu arrives à la French House. L’un dans l’autre, ce groove a été la signature d’Oden & Fatzo. Ca s’est fait très naturellement et ça s’est imposé comme notre ADN”. Pour Denver, « Fatzo, c’est monsieur mix, monsieur drums, il a une grosse vision du mix percu. Ça fait partie de la patte Oden & Fatzo” expose-il. « Moi, c’est le rap, le jazz, la funk, ce qui est mélodique, harmonique. Les recherches d’accords. Et Abel se distingue par des recherches d’ambiances, de sampling, ainsi que des influences psychédéliques”.

« Être en groupe, c’est apprendre à mettre son ego de côté. On s’embrouille sur plein de sujets, mais jamais sur la direction artistique du projet. On a vite appris à prendre chacun notre place et à savoir comment servir l’intérêt de la musique. Quand tu es bienveillant, dans l’écoute et dans le dialogue, tu ne peux jamais te rater collectivement. »

Le groove est le dénominateur commun qui unit le trio, tandis que la disco est devenue leur nouveau terrain de jeu pour conquérir l’international. Une recette loin d’être préméditée. Quand Fatzo s’amuse à accélérer en 2020 un sample du groupe Men I Trust et y ajoute un drum beat ainsi qu’un violon, il n’est alors ni question de calcul commercial ou de volonté de rebranding mais bien uniquement d’exploration avec à la clé un edit dans lequel le groupe ne percevait guère de potentiel. “On ne s’était jamais dit qu’il allait marcher. En live, on n’était pas confiant du tout du titre, on le jouait à peine, parfois seulement la moitié en skippant la seconde partie” témoigne Denver.

Publié sur la chaîne de leur ami et curateur Novaj, le morceau est joué pour la première fois par l’anglais Jamie Roy dans un festival albanais. Très vite, « Lauren » affole Shazam, accumule progressivement les centaines de milliers d’écoutes et vient se faire une place au premier rang de la discographie jusqu’ici assez confidentielle du groupe, parsemée de sorties souvent bien moins accessibles. De quoi bouleverser l’image d’Oden & Fatzo ainsi que les certitudes qu’avait le trio autour de cette dernière. “Sans Denver, on n’aurait jamais sorti ce titre. J’avais honte de le faire écouter. En venant de la scène minimale vinyl-only, qui n’était pas aussi ouverte musicalement à l’époque, on voyait le titre comme trop cheesy” confesse Fatzo.

Les gens de l’underground ne se rendent pas forcément compte de la difficulté de travailler un titre avec plus d’ambition dans l’écriture et l’enregistrement vocal. Une track minimale, on en fait en 3 heures, tandis qu’un titre vocal, on y passe 3 semaines. Aujourd’hui, quand on me dit ‘votre son est devenu plus commercial’, ce que je j’entends c’est ‘tu es devenu professionnel’ car le son qu’on fait sonne mieux.

Oden & Fatzo

Un happy accident qui débouchera finalement par une clearance du sample et une sortie sur les labels Funfair Record et Ministry of Sound, près de 100M de streams et surtout d’innombrables moments d’euphorie collective sur les dancefloors internationaux. Un point d’orgue idéal dans les sets des astronautes qui aura par la suite progressivement vu les booking de renoms s’offrir à lui, des mastodontes Drumsheds et Warehouse Project en Angleterre, de Tomorrowland à l’EDC Las Vegas en passant par l’Ushuaia Ibiza, un livestream récent au Cercle Festival ou encore une Boiler Room gravée dans les mémoires au FLY Open Air.

Si « Lauren » a révélé le groupe pour sa casquette de producteurs, la Boiler Room, comme pour beaucoup d’artistes, aura eu le même effet sur leur profil live. « Ca a permis aux promoteurs de savoir ce qu’on jouait en live, parce qu’en production on sort beaucoup de choses différentes » analyse Abel. C’est dans ce type de formats rapprochés du public à l’énergie chaotique que la touche Oden & Fatzo prend vie. “Il se passe beaucoup plus de choses quand on joue à hauteur du public” abonde Abel.

« C’est le paradoxe du live, on a vocation à grandir mais on ne prend pas forcément le plus notre pied sur les grosses stages. Tu te rends compte que certains headliners enchaînent 100 festivals durant l’été sans pouvoir avoir le moindre eye contact avec le public. C’est sûrement pour ça qu’on retrouve certains en afters à Ibiza”.

Porté par ce succès qui aura considérablement ouvert les horizons du groupe aussi bien en ce qui concerne le domaine de la musique enregistrée que celui du live, Oden & Fatzo semble désormais ne plus rien s’interdire. “Dieu merci, ‘Lauren’ est sorti. Au-delà des questions d’audience, l’impact qu’a eu ce morceau sur notre perception de la scène et de la musique est énorme » approuve Fatzo. « A partir de ‘Lauren’, on s’est senti encore plus à l’aise dans l’idée de se diversifier. En live on joue de la jungle, du breakbeat, on sort des EP avec du Rap sur Bandcamp et en même temps on va tout autant s’ambiancer sur des sets de FISHER lorsqu’on est en tournée« .

Cette soif de diversité pourrait bien se retrouver dans leur projet d’album. Une parenthèse envisagée comme une nouvelle échappée créative, où l’écriture a remplacé le sampling.

“Pour ‘Lauren’, le groupe Men I Trust ne voulait pas qu’on sorte ce remix de leur titre, et nous ont suggéré de faire une reprise. On a tout ré-enregistré. C’est une autre chanteuse qu’on entend dans la version officielle. Quand le titre a buzzé, le groupe n’a pas apprécié et leurs avocats nous ont menacés. Sauf qu’on était les premiers à vouloir créditer leur nom à la base, leur offre était la nôtre, on a sorti le titre selon leurs conditions” contextualise Fatzo. “Ce jour-là, tu perds un peu ton innocence. Suite à cette histoire, on a commencé à enregistrer des chanteuses plutôt que de faire des reprises”.

Un album en cours de travail qui se voudrait plutôt « comme un kiff », donc. « On a prouvé qu’on sait faire du club, on veut se faire plaisir avec autre chose. Tout n’est pas stratégie, on a envie d’avoir un objet sur lequel on s’est fait kiffer« , explique le groupe.

Loin des calculs marketing, Oden & Fatzo souhaitent enregistrer ce disque avec la spontanéité qui a fait leur réussite « On veut l’enregistrer avec des musiciens. Quelque chose de plus acoustique, avec des voix. Au lieu de sampler des boucles, on va faire des boucles. On va inviter des potes comme THEOS ou Romero Louisa, ce sera en famille. » Une aventure musicale qui s’annonce aussi sincère qu’audacieuse, fidèle à l’esprit d’un groupe qui ne compte pas limiter son champ des possibles.