Dossier : Likes, abonnés, partages… Quel est leur impact sur notre consommation musicale ?

Au cours de ce nouveau dossier, nous allons tenter d’analyser les facteurs qui contribuent à l’attraction des gros artistes, des gros labels, des grosses boîtes d’événementiel : bref, les gros acteurs du monde de l’industrie musicale. Et plus précisément, les chiffres. En effet, l’un de nos réflexes primaires à l’heure des réseaux sociaux est de prendre connaissance des chiffres relatifs à un compte : engagement, likes, followers … Et ces chiffres vont consciemment ou non nous influencer. Décryptage.

Le nombre de likes sur Facebook, ou de followers sur Twitter et Instagram, définit le niveau de notoriété d’un.e artiste sur les réseaux sociaux. Elle se crée via une adhésion consentie de la personne appréciant la musique que cette personne propose. Mais cela marche tout aussi bien pour un blog, un label ou n’importe quelle entité ayant un lien avec notre sujet.

A cela se rajoute l’engagement. Il correspond à la « vie virtuelle » des publications (les réactions, les commentaires et les partages) prouvant que ces followers sont réels. Il n’est cependant pas inconnu du public que bon nombre de pages d’artistes ont eu recours à l’achat d’engagement en likes, en partages, en vues et en commentaires (via les fameuses « fermes à clics« ), afin d’obéir à cette règle instaurée par les réseaux sociaux que les promoteurs se servent de ces derniers pour savoir si les DJs et performeurs conviés vont pouvoir leur permettre d’avoir une belle visibilité et de faire de la marge pendant l’événement dans leur établissement.

Cette notoriété est ensuite utilisée comme argument marketing de confiance, d’assurance, de sécurité, auprès des bookers pour les convaincre de la bonne vente des places s’ils annoncent une date dans leurs établissements, que cela soit un club ou un festival. Il est donc courant de fausser les chiffres de ses réseaux pour obtenir des dates auprès des promoteurs, même si ces réseaux ont tendance à réguler et mettre en lumière des faux engagements. Ce qui jette la suspicion sur tout DJ, n’importe qui devient suspect d’utiliser de tels moyens.

Les classements et les TOPs (particulièrement le TOP 100 DJ Mag) ont également leur rôle à jouer. Le fait est évoqué par Fabian Dori au cours d’une émission du « DJ Talk » : les classements servent comme argument commercial dans des pays aux cultures différentes, pour qui la culture de la musique électronique est une découverte très récente, pour la partie « mainstream » en tous cas. La tromperie peut aussi aller dans le sens du voyeurisme : on suit le compte d’un artiste pour son physique, son life-style ou sa passion pour les grosses voitures et non plus pour sa musique ou son art. Ses chiffres s’en retrouveront artificiellement biaisés et gonflés, le transformant plus en influenceur prêt à nous vendre une marque de montre ou de lunette de soleil plutôt qu’à partager son passion pour la musique, motif premier du suivi de l’artiste en question.

Les classements (par catégorie ou pas) contribuent également à nous conditionner. Cela a été longuement évoqué dans notre Dossier : « L’effet « Hit Parade » ou l’influence majoritaire« . Brièvement résumé, l’effet consiste à présenter un ensemble de morceaux de musique présent ou non dans un classement, et l’observation tend à démontrer que les pistes les plus hautes présentes dans le classement sont plus jouées que les dernières, alors que le nombre de plays est homogènes pour ces mêmes morceaux sans classement. Nous pouvons aujourd’hui étendre le concept au nombre de plays Spotify par exemple : un morceau énormément joué par les utilisateurs bénéficiera de davantage d’exposition sur la plateforme. D’ailleurs, cela ouvre une autre partie du débat.

Qui dit chiffre dit également algorithme : nous pouvons alors proposer l’élargissement du débat aux algorithmes de suggestions Youtube et Spotify, qui ont pour but proposer du contenu similaire à notre consommation normale, limitant ainsi nos découvertes, nous emprisonnant dans une bulle de passivité au profit d’une ingestion constante de pub ou au mieux, un abonnement moyennant quoi, la publicité disparait.

L’image de la bulle est d’autant plus vraie que notre seule volonté de découverte permet de casser cette bulle à l’enveloppe fragile et de découvrir du contenu dont les algorithmes ne soupçonnent même pas l’existence car trop peu de vues ou de nombre de lectures, par exemple. Ces services façonnent ainsi notre bulle avec du contenu plus omniprésent que jamais, nous persuadant dans nos choix d’écoutes, de notre « libre-arbitre » (si cette notion existe), où n’est présent que du contenu que nous aimons selon les calculs d’un algorithme opaque et hors de portée.

Tout ce dont nous parlons ici peut, en fait, se résumer ainsi : désirer de l’influence dans un groupe, c’est désirer du pouvoir sur ce dernier , comme le résume l’un des chapitres de l’ouvrage de Didier Anzieu & Jacques-Yves Martin, « La Dynamique Des Groupes Restreints ». Nous pouvons proposer une idée (sans trop entrer dans les détails) selon laquelle les réseaux ont tous transformé en bandes géantes ( = ensemble, à la base, d’une vingtaine de personnes se réunissant par intérêt) qui peuvent peupler des festivals ou des clubs, d’où un sentiment de proximité illusoire avec l’artiste, qui serait perçu comme « l’un des notres », malgré le fait que son compte rassemble des centaines de milliers voire millions de followers, qui partagent cette fausse idée.

Et les artistes maîtrisant le mieux les techniques d’influence sont ceux qui créent du consensus, car qui dit consensus dit « fabriquer du consentement ». Loin d’être une conspiration, cette vérité théorique peut aboutir à un tas de résultat, et le résultat recherché dans n’importe quel secteur dit « industriel » est le profit. Voilà le moteur premier de la volonté de posséder de l’influence en faisant des chiffres, des arguments marketing se voulant solides, que cela se concrétise auprès des fans comme auprès des promoteurs.

Mais de bonnes initiatives naissent : la récente disparition des likes sur Instagram fût un véritable pavé dans la mare, quelque soit sa motivation officielle et officieuse, car amorce une perte d’influence des comptes. Cette action-surprise appelle ainsi à l’utilisateur à davantage d’esprit critique et d’analyse car le réseau va s’en retrouver plus horizontal, plus neutre; mais en échange, les sites crédibles se retrouvent avec le même niveau d’exposition que les sites diffamants, médiocres. C’est donc à nous, consommateurs de contenus, de faire attention à qui nous accordons notre temps, notre attention mais surtout notre confiance. La boucle sera alors totale quand aucun chiffre ne sera communiqué publiquement, que cela soit du nombre de followers, de vues ou de likes, toute plateforme confondue. Le concept même d’influence sera alors nulle car répartie de façon homogène sur le web. Serait-ce un avenir souhaitable pour tous ?

Scorch