Analyse : La Bass Music et son rapport au Rap

Ce n’est pas nouveau, les producteurs de musique électronique ont souvent été mandatés par d’autres artistes provenant de genres différents pour leurs productions, principalement la pop et le rap. On se souvient notamment d’Avicii, qui avait participé au morceau « A Sky Full Of Stars » de Coldplay par exemple, ou encore Gesaffelstein, qui a produit « Black Skinhead » pour Kanye West.

Mais, nous assistons depuis quelques mois à un vrai essor de collaborations entre producteurs de bass music et rappeurs. Si, jusqu’il y a peu, c’était principalement le compositeur qui se mettait au service du rappeur, cette tendance commence à s’équilibrer dans les deux sens. Nous avons donc un désir nouveau de la part des artistes de prouver qu’ils peuvent briller dans le monde très singulier des instrus rap. Mais d’où vient ce changement, et que nous apporte-t-il à nous, consommateurs de musique électronique ?

Bien que certains membres de cette scène aient toujours utilisé les instrus rap comme partie intégrante de leur discographie, à l’image de Diplo, Zeds Dead et YOGI, cette nouvelle mouvance prend ses racines dans le ras-le-bol de certains producteurs envers leur propre identité musicale. Car, bien que l’on critique énormément le visage que prend l’industrie musicale actuelle, on oublie souvent la grosse amélioration à laquelle nous avons pu assister ces deux dernières années. En effet, il y a peu, chaque producteur avait son propre style bien défini auquel son public était habitué, et l’accueil était généralement mauvais si l’artiste se permettait de sortir des sentiers battus. Ainsi, l’artiste se retrouvait enfermé dans la prison qu’il s’était lui-même bâtie. Cette situation était insupportable pour bon nombre d’entre eux, en fer-de-lance Skrillex, et ces derniers ont décidé de faire fi des critiques afin d’expérimenter. Grâce à ça, nous avons petit à petit appris à accepter et apprécier ces sorties de route, ce qui a dessiné le paysage musical actuel.

La scène bass music (principalement la trap et le dubstep) est naturellement friande de rap, tout simplement parce que c’est un genre qui l’a énormément influencée. En effet, ses représentants grandissent en écoutant du rap, et cherchent à en récupérer certains éléments, que ce soit la vibe, la dynamique ou autre dans leurs propres productions. Il n’est donc pas étonnant que cette nouvelle ouverture d’esprit de leur public les pousse à s’essayer au genre. Que ce soit Flume, Skrillex, Baauer, RL Grime, Big Gigantic, Destructo, Dillon Francis, ZHU, Hippie Sabotage, GTA, Snakehips, etc., tous se sont alliés à des rappeurs. Mais, la vraie question est: qui se met au service de qui, et qu’est-ce que cela apporte à chacun des artistes et à leur communauté ?

Lorsque le producteur travaille pour le rappeur, l’avantage principal est que ce sont naturellement d’excellents beatmakers, avec une patte musicale différente des habituels producteurs du genre. Ainsi, on peut trouver d’incroyables instrus plutôt classiques sur la forme, mais magnifique dans le fond, à l’image de « In For It » de Tory Lanez, produite par le trap lord RL Grime. Le rappeur peut proposer un morceau sensiblement différent et intéressant, alors que le producteur peut en profiter pour prouver ses compétences à un public qui ne le connait pas forcément et y gagner en notoriété.

Cependant, il est important que le beatmaker n’oublie pas qui il est, et qu’il garde ce qui attire ses fans dans ses productions habituelles. Skrillex l’a malheureusement oublié sur le titre « Hungry Ham » d’A$ap Ferg, qu’il a produit et que ses fans ont rejeté.

Lorsque le schéma inverse s’applique, à l’image du titre « Burial » de YOGI et Pusha T, non seulement c’est un honneur pour le producteur de travailler avec ses idoles, mais en plus le rappeur va apporter un cachet différent au morceau. Et chacun y gagne en popularité, en se faisant apprécier par la communauté respective de l’autre.

Mais l’exercice devient vraiment intéressant lorsque cette barrière s’effondre, et qu’il est impossible de différencier qui tire les ficelles. On obtient ainsi des pépites complètement atypiques et surprenantes, comme « 4 Real » de Destructo, Ty Dolla $ign et ILoveMakonnen, ou encore la trop peu connue « Drum Machine », de Big Grams et Skrillex, sans doute sa meilleure prod. Ce sont des morceaux auxquels on n’arrive pas à coller une étiquette, et c’est ce qui fait leur charme.

Pour nous, fans de musique électronique, le constat est simple; si on aime (ou du moins ne déteste pas) le rap, toutes ces collaborations sont une aubaine. Nous découvrons une autre facette de nos artistes favoris, qui leur permet de s’affirmer autrement que dans la bass music où on les attend. Si on est insensible au rap par contre, on peut pester contre la surabondance de ces collabs, qui freine les sorties normales de l’artiste. Chacun est donc juge selon ses propres goûts. Mais on ne peut que reconnaître le potentiel d’expérimentation qu’offrent ces crossovers. Imaginez si Ice Cube, Eminem ou Drake se prêtaient au jeu.

Pitt