Grand Angle : Boston Bun, une étoile dans la galaxie Ed Banger

Considéré comme un des artistes de la French Touch 2.0, Boston Bun a brillé sur Ed Banger Records aux côtés des Justice, Breakbot, SebastiAn et consorts… Naviguant entre les villes et les styles, de Housecall à Whenever You’re Ready et de Paris à New York, ce producteur discret n’a eu d’égal que son talent. Pour Grand Angle, celui qui est aussi le fondateur du label Circa ’99 nous ouvre les portes de son univers à l’aube de son premier album.

Seize heures, une après-midi tranquille où Boston Bun termine de poncer une armoire avant de répondre à nos questions. Depuis quelques mois, Thibaud Noyer (de son vrai nom) s’est installé dans un village dans le sud de la France après un long séjour à Londres. Un retour aux sources, en quelque sorte, pour celui dont l’éveil à la musique a débuté à Crest, dans un village de la Drome. Il profite de l’accalmie ambiante pour s’acheter une maison et y construire son propre studio. A terme, ce nomade aimerait un peu se sédentariser et bénéficier de son propre espace. Avoir un spot pour accueillir du monde, produire beaucoup de musique et travailler sur de nouveaux projets.

Quelques semaines avant la sortie de son premier album There Is A Nightclub Inside My Head (sortie prévue le 23 avril), le français est détendu. Il se pose sur son parcours, ses aspirations et sa vision de la culture club. Issu d’un cercle réputé très fermé, celui des artistes de la team Ed Banger, notre échange est l’occasion de comprendre celui qui depuis près d’une dizaine d’années s’est illustré dans différents styles, de la sombre Housecall à la très disco Gucci Slides.

Pour lui, tout débute à l’adolescence, à 14 ans. Sa madeleine de Proust, sa première « sensation », il la vit à Avignon. A l’époque, il participe et remporte avec des amis un concours de la MJC grâce à une production beaucoup plus proche du rap que de l’électro. C’est ce qui l’amène à découvrir pour la première fois un studio professionnel et à terminer son premier morceau, mixé et masterisé. Il raconte cette anecdote avec amusement et se remémore la fierté, à ce moment-là, de sortir du studio avec un CD digne « d’aller à la FNAC ».

Plus tard, c’est une autre rencontre qui s’avère déterminante pour lui et pour la suite. Une rencontre nocturne, celle d’une musique ‘alternative’ diffusée sur M6 et où le futur DJ/Producteur voit défiler les clips délirants des Chemicals Brothers, Basement Jaxx ou encore Armand van Helden. Il a, à l’époque, l’impression de découvrir quelque chose d’expérimental, d’étrange mais en même temps de fascinant. « Le soir, tu avais de la musique bizarre, avec des clips bizarres mais en fait je ne comprenais même pas que c’était un truc fait pour danser dans un club. Je viens d’un village. Pour moi, une boîte de nuit, ce n’était pas ça. Une boîte de nuit, c’est ce qu’on peut imaginer d’une boîte de nuit. ».

Cette découverte des clips à la télévision est une révélation. Le natif de la Drome décide de faire des études à la faculté de cinéma de Lille pour devenir réalisateur (cette expérience dans le nord de la France le rapproche par la même occasion de son oncle musicien, qui le sensibilise à la musique électronique via son projet You Man). Il finit par en faire un travail à part entière, à Paris.

Tout ce qui s’en suit pour Boston Bun se résume en un mot : du feeling (et du travail, mais il ne mentionne ce terme qu’une seule fois dans la conversation). Il n’est pas uniquement un fil conducteur pour lui, il est aussi dans un sens plus large une philosophie. Une façon de conduire sa vie (et sa carrière) au gré des envies qui explique qu’il n’avait, de son propre aveu, rien écrit et rien préparé dans tout ce qui a pu lui arriver. « C’est mon seul motif de décision depuis le début ». Peu importe qu’il réussisse ou qu’il échoue dans cette démarche : il ressent ce besoin instinctif de faire les choses lorsqu’il en a envie (et réciproquement, de ne pas les faire lorsque ce n’est pas le cas). « Si je sens un truc, j’y vais direct. Je ne sais pas faire autrement ». Et pour cause : le frenchie a été un élève assidu de ce qu’il appelle ‘l’école Pedro’ (Winter, ancien manager des Daft Punk et fondateur d’Ed Banger), définie selon le précepte suivant.

Si tu ne kiffes pas, tu ne dois pas le faire. Si tu ne passes pas un bon moment, si la musique devient une corvée et que ça devient du travail, c’est que ce n’est pas bien, il faut que ça soit du kiff. Obligatoirement. Impossible de ne pas kiffer. Si tu ne kiffes pas, c’est qu’il y a un problème (il rigole).

Boston Bun

Boston Bun n’est pas du genre pressé. L’argent, la réussite, le succès ? « Je m’en fous un peu ». Si son ambition première est de composer un maximum, l’ancien résident de Londres veut prendre son temps. Il accorde beaucoup d’importance à la dimension sociale de la musique, à l’humain. Lorsqu’il mixe, celui qui est aussi un passionné de photographie veut prendre le temps de connaitre son public, de nouer une relation forte avec lui. « C’est un truc qui prend du temps, tu dois connaître les gens. Je sais que le moment où il va y avoir une vraie communion et un vrai truc qui se passe… ça ne peut pas être avant 1h30-2h de set ». En dehors des scènes de festival ou des clubs, la logique est la même. Il veut apprendre à connaitre les gens avec qui il travaille ou les artistes qu’il signe sur son label Circa ’99.

J’ai besoin un petit peu de parler aux gens, j’ai besoin que ça se connecte un petit peu. Il y a un gars qui m’envoie un track d’Austin (Texas). Le morceau est bien mais je me dis que si on ne connecte pas là, je ne sais pas si je vais savoir le vendre comme mon pote que je kiffe et dont je souhaite tout le succès et tu vois… C’est pas pareil. Il y a un petit facteur humain que je cherche avant de release. 

Boston Bun

Parmi toutes les personnes qu’il croise dans son chemin, il y en a une qui l’influence fortement en tant qu’artiste : Pedro Winter. Même si la production de musique et le DJing n’est pas sa vocation première, Boston Bun finit par s’y intéresser, notamment au cours de ses études à Lille. Une fois à Paris, le néo DJ/Producteur fait parler de lui au Social Club, où il mixe régulièrement. Il y rencontre toute la scène électro émergente ainsi que son futur manager, Guillaume Berg, qui l’incite à se concentrer sur la musique. Il voit juste, car Boston Bun finit par se démarquer avec un remix de Maelstrom sur le label Sound Pellegrino. Un titre qui attire l’attention d’un certain… Pedro Winter.

Son manager de l’époque joue les entremetteurs. Un déjeuner entre Thibaud et Pedro Winter s’organise. Ce dernier cherche un colocataire de studio pour le motiver à produire davantage sous son nom de scène Busy P. Le nouveau duo s’installe dans un studio dans le XVIIIème arrondissement pendant un an. Ils y écoutent mutuellement leurs tracks respectifs et s’entraident. Quelques morceaux plus tard, Pedro Winter décide de le signer avec un premier EP : Housecall, en 2012. Boston Bun entre officiellement dans l’écurie Ed Banger, dans laquelle il reste un membre actif durant 5 ans. Il y vit parmi ses plus beaux souvenirs en tant qu’artiste.

Ma plus belle date ? Un truc qui revient souvent, c’est quand même la fois où avec Pedro et Para One on a fermé le Sónar de Barcelone. On jouait de 21h à minuit. Une scène extérieure, avec le coucher de soleil, 3h de set où on était free, on jouait ce qu’on voulait, les gens réagissaient trop bien. J’aime bien aussi ce qui se passe avant une date, et là pour le coup on avait passé 3 jours ensemble à Barcelone où on avait fait tout le Sónar. Le dernier jour, on fermait le festival. C’était vraiment le genre de moment où quand on était en train de le vivre on savait déjà que c’était un truc de malade.

Boston Bun

Après l’avoir lancé, Pedro Winter lui donne envie de se lancer. Sur un coup de tête, il monte son propre label, Circa ’99, qu’il créé en une semaine et qu’il inaugure avec Missing You, en 2017 (un son qu’il n’a même pas voulu masteriser tant il l’appréciait en l’état). Sans pour autant couper les ponts, au contraire. « On se parle super fréquemment avec Pedro et on a qu’une hâte c’est de repartir faire des B2B ensemble, de tourner ensemble. Ça m’arrive de lui donner 2-3 petits conseils, de lui envoyer des tracks, de lui envoyer des prochaines releases. Son avis compte toujours, tout le temps ».

Circa ’99 (autour de 99, traduit littéralement), est une référence à la musique qui a changé sa vie, la French Touch de la fin des années 90-début des années 2000. Il veut, au travers de son label, renouer avec le côté nostalgique et candide de cette époque dorée de la House. Il fait donc logiquement de la candeur et de la nostalgie une direction artistique et musicale pour sa franchise.

Son label indépendant est aussi une aventure humaine à laquelle il fait participer tous ses amis, qui sont d’ailleurs les premiers artistes signés. Il extirpe de leurs ordinateurs les démos injustement laissées au placard. Avec Circa ’99, il organise aussi quelques soirées à Paris et vit le stress des premières : « Le sound system était pas réglé et c’était comme quand tu fais ton anniversaire, tu te demandes s’il y a des potes qui vont venir (il rigole) ». Mais au fur-et-à mesure, la sauce commence à prendre et la troisième soirée est finalement sold out. Une dynamique brusquement interrompue par la crise sanitaire qui frappe la planète.

Boston Bun se retrouve alors seul chez lui, mais cette période particulière l’inspire beaucoup et l’envie lui vient de produire un album. Une occasion pour lui de proposer autre chose que les discoïsantes Don’t Wanna Dance ou encore Better Together, des sons taillés pour faire danser les foules de clubs… désormais fermés. D’ailleurs, impossible pour lui de ne proposer que de la Disco/House malgré son succès dans ce style (et son leitmotiv : From Disco to House Music to Disco Again).

Tu ne peux pas faire un album de Disco/House. Il y a un truc avec la Disco/House qui est hyper… bâtard (il rigole). Tu peux taper dans une poubelle et tu peux avoir… 50 tracks de Disco/House qui défoncent. Parce qu’en fait, comme pour la Disco, il y a eu une surproduction de ce genre. Un track Disco/House c’est une loop avec des drums dessus et une ligne de basse funky. J’adore, c’est pas du tout péjoratif ce que je dis, mais on a vite fait le tour.

Boston Bun

L’album qui s’annonce est aussi une opportunité pour lui de dévoiler ses différentes facettes et sa vision de la culture club, un mélange entre différents mouvements musicaux qui s’entremêlent. Une perspective qui s’esquisse avec l’envoûtante Nobody But You, qui figurera sur l’album dont la sortie est prévue le 23 avril. Ce premier opus n’est en tout cas pas dénué d’ambitions. Avec There Is A Nightclub Inside My Head, Boston Bun veut offrir une musique qu’il juge « intime » et que l’on peut écouter seul(e) dans sa chambre. Il a également une autre ambition, plus large, qui l’accompagne depuis que son ami Pedro Winter lui a insufflé et qui désormais le guide : celle de laisser une trace.

📷 Crédits photo (visuel main) : Lucrecia Taormina