Dossier : Vers une résurgence des free parties ?

Les rave parties ont existé de tout temps. Des années 50 à nos jours, ces événements illégaux et non-déclarés ont fait l’objet de tous les fantasmes. En effet, on brave l’interdit, on défie les autorités, on se moque du pouvoir. Cette liberté totale a son revers, malgré tout. Manque de sécurité et de règles sanitaires, non-conformité des règles auditives, impact sur l’environnement local… Cette image est aussi stéréotypée que démontrable. En vient naturellement son questionnement dans un contexte de pandémie mondiale. Quelle place peut-elle occuper quand tous les établissements festifs et festivals officiels sont suspendus les uns après les autres ? Le maintien de cette pratique est-elle justifiée ? Ou au contraire, cherche-t-on une fois de plus à faire taire le monde de la nuit en prenant en exemple l’histoire ? Comme disait Albert Einstein, « Il n’y a pas de question idiote, seulement des réponses idiotes ». Nous avons eu la chance également d’avoir l’avis de certains acteurs et artistes dans ce dossier afin d’étayer ce sujet complexe et avoir accès à leurs avis sur un ensemble de questions.

I. Brève histoire des rave parties

En se penchant sur l’histoire, nous ne pouvons que constater que les raves parties ont toujours été méprisées et réprimées par les différents pouvoirs étatiques de leur époque, et crées dans des contextes de crises. En effet, les raves parties sous Margaret Thatcher prenaient place dans des entrepôts désaffectés (« warehouse ») suite à la désindustrialisation de pays. Les fêtes illégales en Allemagne naissent lors de la réunification de 1991. La France leur déclare la guerre à partir de 1995, décrivant ces places comme des hauts lieux de ventes de drogue et faisant émerger la distinction entre « rave » et « free » parties, l’une déclarée et l’autre illégale. Joachim Garraud s’en souvient …

Les raves d’aujourd’hui me rappellent celles des années 90. On organisait des raves car on nous interdisait d’organiser légalement, et que l’on était vu comme une bande de drogués. On mettait en place ces fêtes et c’était super. Aujourd’hui, cela répond à la même demande de vouloir faire danser les gens, tel un sentiment instinctif. C’est difficile de priver de cette liberté la.

La culture de ces lieux a peu à peu influencé la programmation des clubs, tout en les rendant les lieux légaux et acceptés officiellement comme lieu de retrouvaille régulier.

Toujours bonnes à être justifiées comme plaque tournante de drogue, lieu de contre-culture, aux goûts musicaux incompréhensibles par les esprits de l’époque, les rave et free parties connaissent cette année, COVID oblige, un nouveau regain de popularité et sont de nouveau sous le feu des critiques, à tort ou à raison. Citons les gigs de Amélie Lens pour Possession à Paris ou Lee Burridge à NYC, qui ont eu un fort retentissement sur les réseaux de part le non-respect évident des règles sanitaires. Là encore, Joachim Garraud a son avis sur la question :

Cependant, avec mon regard d’organisateur de festival, quand je vois les gens organisant des raves sans aucune protection sanitaire, je me dis que les gens sont quand même inconscients. Inconscients de vouloir organiser ce genre de manifestations, et il y a 2 poids 2 mesures car j’ai l’impression que les préfectures ferment les yeux sur ces événements et que nous, nous ne pouvons proposer des festivals avec des masques, mesures sanitaires… J’ai un sentiment d’injustice sur cette question. En tant que DJ, je souffre énormément de ne pas pouvoir faire danser les gens, présenter mes titres, c’est qui me dérange le plus, je suis très frustré.

Mais d’autres qui se sont bien mieux passés comme les rave « Sans Merci » de Tony Romera et sa fine équipe, réunissant peu de monde sur de grands espaces en plein air. Tony a accepté de nous répondre également sur ces fêtes clandestines, qu’il assume et nous en explique les raisons :

On organise ces petites rave parties avant tout parce que les soirées nous manquent. Le public nous manque aussi. Évidement aussi parce que notre public avait envie de nous retrouver et de se retrouver entre eux. SANS MERCI, c’est devenu une petite famille au fil du temps, tout le monde s’entend super bien et on passe de super moments ! On ne les organise absolument pas dans le but de faire de l’argent puisque les participations des gens vont dans la location du matériel, et autres. On perd même parfois de l’argent en les faisant quand il y a des imprévus. Aucun bénéfice donc, mais notre bénéfice c’est de pouvoir enfin faire des soirées avec nos fans et amis !

Le fondateur de Sans Merci met également en place des règles strictes, adaptées à une foule qu’il connait presque à un point personnel :

On essaie de limiter les risques en mettant déjà à disposition des masques / gel hydroalcoolique, et en limitant surtout le nombre de personne et en faisant ça dans des lieux assez grands pour qu’il y ait une distanciation physique. Tout le monde est bien conscient du contexte actuel et respecte en général les règles de sécurité. En ce qui concerne la sécurité en terme de problèmes vols / bagarre ou quoi que ce soit, les personnes invitées sont des personnes que l’on connaît très bien pour la plupart, des gens qui venaient à nos soirées officielles quand il y en avait encore donc on sait que ce sont que des personnes respectueuses et qui ne causeront aucun soucis !! Ça a d’ailleurs été le cas sur chacune des raves que l’on a faites.

Enfin, nous lui avons posé la question qui fâche du moment : « Quand on voit les bad buzz crées par certaines soirées où le public est massif, sans masque, sans distanciation, comment fais-tu pour t’assurer de pas te recevoir les foudres de ton public ou des réseaux sociaux ? ». Réponse de Tony :

Pour l’instant on est plutôt passé à travers, on a eu très très peu de mauvais commentaires, de personnes choquées ou quoi. Probablement parce que ces rave étaient en quelque sorte des soirées privées, et que la plupart des gens ont fait ce même genre de soirées avec leurs amis chez eux tout l’été. Ensuite tous les bars / restaurants festifs, centres commerciaux et autres sont ouverts et ne respectent pas forcément les règles sanitaires, les gens en sont conscients et sont aussi conscients de l’illogisme de la situation. Laisser les clubs, salles de concerts et festivals fermés alors qu’il se passe exactement la même chose tous les weekends dans pleins d’autres types de lieux qui sont eux légalement ouverts, c’est une énorme injustice envers le milieu artistique/nuit.

Mais c’est pourtant toutes ces rave-parties qui ont fait sortir Dave Clarke de ses gonds via un post Facebook se disant « très déçu » de ces événements illégaux où les DJs venant mixer ne sont pas forcément les plus précaires, ne justifiant en aucun cas la survie financière. On peut également débattre sur la légitimé explicable pour les artistes à revenus modestes qui n’ont pas d’autres choix que de trouver des solutions financières afin de simplement survivre, car les aides publiques ne suffisent pas, dans la majorité de cas. Comme nous en témoigne Nojack, DJ au « Warehouse » de Nantes, non sans préciser son appréciation de bénéficier quand même du système social français …

Parfois, j’ai tendance à trouver l’herbe beaucoup plus verte ailleurs, mais avec cette période, ça m’a rappelé la chance qu’on a d’être plutôt bien couverts en France. J’ai pu bénéficier de l’aide de l’état à destination des entreprises touchées directement par le COVID. Bien évidemment, ça ne couvre pas toute la perte d’activité (surtout avec l’été qui est une grosse période), mais c’est une chance d’avoir pu être aidé dans cette situation si extraordinaire ! En revanche, il y a un trop grand nombre d’oubliés comme par exemple les clubs et salles de spectacles, qui reçoivent des aides, mais très largement sous-dimensionnées par rapport a la perte engendrée …

L’impact de la situation fait également réagir Joachim de manière très virulente, via ses communiqués EPK et sa participation à une tribune signée sur Libération sur le déclin de la scène électronique en France, où il est écrit « Cela n’est envisageable qu’avec votre collaboration [du gouvernement] […] Sans ces artistes et ces espaces de diffusion, c’est un pan de la richesse culturelle du pays qui s’étiole sous nos yeux. ».

J’ai le sentiment que nous ne sommes pas un acteur pris au sérieux par le gouvernement. Proposer des concerts de musique électronique fait que nous ne sommes pas vu comme utiles, ni comme des professionnels, dans la société française. J’ai vraiment l’impression que l’on ne sert à rien. Cela me met vraiment dans un profond état de tristesse. 30 ans de combat pour la musique électronique, où l’on a commencé en faisant des raves, qui reviennent aujourd’hui à la mode, et je me rends compte que l’on revient à la case départ. Devoir tout reconstruire. Je suis désolé de ne pas montrer positif, mais c’est vraiment mon état d’esprit, je suis fatigué et découragé. 30 ans de combat, on commençait à avoir nos lettres de noblesse en quelque sorte, on commençait à être un peu plus respecté, on avait une utilité … Et je me rends compte avec cette crise, tout n’était qu’illusion.

II. Fermer les discothèques et annuler les festivals, la fausse bonne idée ?

Fermer les établissements, c’est ne pas faire confiance aux professionnels du secteur et en leur capacité de pouvoir imposer les règles sanitaires. C’est ainsi que le vivent les acteurs de la nuit. Surtout quand en parallèle, moultes activités annexes bénéficient de la réouverture administrative comme les événements de type salon. Certes, les densités de personnes ne sont pas les mêmes, mais cela suffit à créer de la défiance envers un secteur employant plus de 100 000 personnes sur le territoire français. Ce qui pousse bon nombre d’acteurs à élever le ton face à des décisions unilatérales de la part du pouvoir, les laissant dans un flou insupportable et une anxiété que l’on peut imaginer. Joachim Garraud nous donne son avis sur les possibilités de solutions alternatives. Que faire sans aide réelle de l’Etat ? :

Malheureusement, je ne vois pas de solution alternative aujourd’hui. Il faut savoir qu’aujourd’hui, les festivals ont du mal à gagner de l’argent et à être équilibrés au niveau de leur budget. Sur EPK, cela fait 11 ans que je me bats et cela fait 11 ans que je suis à peine rentable. Cette année, j’ai du faire des avances et j’ai perdu pas mal d’argent. Donc si l’Etat n’aide pas, je ne vois aucune alternative, il n’y a pas de plan B. Soit l’Etat nous aide pour éponger les pertes, soit c’est le dépôt de bilan et on arrête.

Enfin, Tony en tant qu’artiste et DJ, nous confie :

Effectivement si ça continue comme ça, ma société va couler, et je serais forcé de changer d’activité à mon plus grand regret. J’en parle très régulièrement avec beaucoup d’amis (artistes plus ou moins connus), et tout le monde fait le même constat, on va tous devoir fermer boutique et trouver un plan B. Rares sont les personnes qui peuvent survivre à un an sans rentrée d’argent, l’aide de l’état n’étant pas suffisante pour vivre étant donné que les dépenses de la société ne se sont elles pas arrêtées. Nous n’allons pas pouvoir tenir encore très longtemps donc si les choses ne bougent pas rapidement, on va à la catastrophe économique pour le milieu. (Certains ont déjà dû arrêter).

III. Une question d’éthique, de responsabilité et de survie financière

La survie des clubs et des festivals en France ne peut passer que part leur réouverture ou par une aide/subvention à hauteur de l’épreuve que le secteur subit. Or, les autorisations préfectorales pour des dérogations autorisant l’organisation des événements de plus de 5000 personnes risquent de bloquer dans bon nombre de cas, en plus d’accuser un surcoût pour l’événement. A titre d’exemple éloquent, au cours d’un de ses lives, Joachim Garraud a annoncé l’annulation de l’EPK en raison du coût qu’aurait nécessité la sécurité du site. En plus des « indications contraires des autorités d’un jour sur l’autre, les portiques détecteurs de températures, la vidéo-surveillance pour garantir le port du masque obligatoire et la sécurité aurait couté 100 000€ supplémentaires au budget initial ! Surtout sur un chiffre d’affaire estimé à 120 000€ rien que pour la vente des tickets ! ». Ce genre de situation généralisée peut alors conduire à la décision de créer des événements parallèles et illégaux.

Les organisateurs peuvent très bien justifier ces choix par l’absence d’aide (assez conséquente) de l’Etat, palliant à leur fermeture, et qu’à un moment, il faut bien survivre… Ce genre de décision est parfaitement explicable sans être parti prenante (le « Vouloir expliquer, c’est vouloir pardonner » de Manuel Valls a assez fait de mal comme ça !). Mais c’est un jeu à double tranchant auquel font face les acteurs, un véritable pari sur la santé de leur public et sur leur propre survie, ne sachant parfois plus sur quel pied danser. Un dilemme auquel Nojack est confronté, en tant que DJ. Se pourrait-il qu’il mixe en rave parties, afin de survivre de son activité ? :

Alors cette question elle n’est pas si vite répondue ! J’ai moi même été touché par le COVID, sous sa forme la plus violente. Donc j’aurai vraiment tendance à dire que ça pourrait très bien être vous aussi. Personne n’est immortel, et ce virus tue. 
Maintenant, la fête et la culture sont ancrées en moi, et j’avoue que c’est très difficile de s’en passer. D’autant plus que j’ai un petit côté rebelle qui sommeille en moi, et j’ai déjà joué en rave ! Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement et nos politiciens multiplient les erreurs à l’égard de la culture et du monde de la nuit. Donc je ne suis absolument pas surpris de voir ce type d’évènement grandir durant cette période. 

Cependant, il tient à signer sur une note positive l’immortalité de notre culture commune à tous, gorgée d’espoir :

Honnêtement, l’industrie musicale a pris un sacré coup dans la gueule, mais je n’ai absolument pas peur de la voir disparaître. C’est impossible en fait. 
Les festivals, les salles de spectacles, ainsi que les clubs, font partie intégrante de notre culture et c’est gravé dans notre ADN. 
Les choses ont beaucoup évolué ces dernières années, notamment sur la manière de consommer la fête, mais je garde bien en tête que mes parents se sont rencontrés en club, et mes grands-parents dans un dancing… La culture, et la fête continueront d’être et d’exister, quelle que soit la décision de nos chers politiciens. 

Or, ces fêtes, loin de toute réglementation, peuvent donner aussi bien des exemples de solidarité et compréhension des enjeux de la part du public, comme le pire, avec zéro masque et zéro distanciation physique. Il est d’ailleurs utile de noter de nombreux exemples où des événements programmés légaux furent interdits de façon arbitraire par les préfets et la police sans que les organisateurs ne trouvent d’explication plausible et justifiée. Il faut donc redoubler de vigilance et être sensible à ce que le pouvoir met actuellement en place, et ainsi discerner les lois sanitaires et les lois liberticides abusives. En tous cas, la résurgence des raves parties est en marche, et semble inévitable dans notre situation actuelle. Cela restera la tendance tant que les acteurs, artistes, programmateurs, techniciens et les autres métiers de la fête, restent aussi méprisés et ignorés par nos institutions; voués à la disparition ou la précarité. Aux ravers : soyez prudents et responsables.

Lecture additionnelle : « Plague raves : is clubbing in a pandemic ever ethical ?« , DJMag