Dua Lipa, Madonna, Mark Ronson, Miley Cyrus… Tous ces grands noms ont un point commun : ils ont tous à un moment donné travaillé avec les Picard Brothers. Protégés de Diplo et déjà auréolés d’un Grammy Awards, ces discrets producteurs commencent seulement à se faire connaitre… alors que leur CV est déjà bien rempli. Rencontre avec deux frères aussi passionnés que passionnants, dont le talent n’a d’égal que l’humilité.
Mardi, 18h. En cette fin de journée ensoleillée, nous avons rendez-vous dans un studio d’enregistrement niché dans le XIème arrondissement de Paris. À notre arrivée, nous sommes accueillis par Maxime & Clément. Ils nous font la présentation des lieux et précisent, en passant, qu’ils sont les voisins de studio de Gaspard Augé (Justice) et Victor Le Masne. Le décor est planté.
Nous pénétrons dans le studio des deux frères. Ils finissent de préparer le set (filmé) qu’ils vont jouer dans quelques jours au Trabendo. Des disques d’or et de platine tapissent une partie des murs et reflètent une carrière déjà riche de succès. Une question nous brûle les lèvres : comment en sont-ils arrivés là ? Le temps d’un entretien, nous avons retracé avec eux le fil de leur histoire, entre Paris et Los Angeles.
Paris. C’est à un peu plus de 60 kilomètres de la capitale que tout commence. À Coulommiers, en Seine-et-Marne, la fratrie est à bonne distance de l’agitation de la Ville Lumière, et elle bénéficie d’un espace propice pour « faire du bruit ». Clément, l’aîné, et Maxime, le cadet, apprennent en autodidactes le piano, la guitare et la batterie sous le regard bienveillant de leurs parents. Ils ne le savent pas, mais ces néo-musiciens acquièrent de précieuses connaissances pour la suite…
En dépit de l’éclectisme de leurs goûts musicaux, ils se décident à produire des instrus… de rap : «Quand tout le monde a commencé à avoir des ordinateurs, on a pu commencer à bidouiller des beats de rap un peu nuls sur Fruity Loops (rires). Quand tu n’as pas de matos, faire des instrus de rap, c’est peut-être le truc plus simple à approcher.»
Années 2000 obligent, les deux frères créent leur Myspace pour y poster leurs créations. La plateforme porte à l’époque la promesse de pouvoir rentrer en contact avec des artistes du monde entier, grands ou inconnus. Toutefois, à ce stade, ils n’osent pas imaginer qu’ils puissent un jour vivre de la musique.
Les années passent. Maxime devient ingénieur du son, Clément kiné. Pour l’un comme pour l’autre, produire ensemble de la musique reste « un kiff ». Alors que Maxime écume sur Twitter les tweets comprenant la mention ‘send beats’, il tombe un jour un peu par hasard sur celui de Diplo, qui partage son adresse mail. La suite, ce sont eux qui la racontent le mieux :
Il (Diplo) avait mis sur Twitter son adresse mail et il demandait à des gens de lui envoyer des morceaux pour ses sets, pour ses mix. Nous, on a envoyé des instrus un peu cheloues, je crois qu’il y en avait même une qui samplait Tiësto… (…) Il a répondu tout de suite. Une semaine après, il est venu à Paris et on est allés manger avec lui.
Maxime des Picard Brothers
De son propre aveu, Maxime parle à peine anglais à ce moment-là. Toutefois, lui et son frère comprennent l’intérêt que leur porte Diplo, qui n’accorde aucune importance à leur nombre de likes ou de followers. Pour eux, s’ils avaient été livreurs de pizza, leur sort aurait été le même. C’est le début d’une double vie qui démarre, entre Paris et Los Angeles. « Avec le recul… (La rencontre avec Diplo, ndlr), c’est la première pierre d’un truc qui t’amène aux Grammy. Il y a un côté hasard total même si on bosse… »
Los Angeles. Un membre du staff de Diplo leur demande s’ils sont prêts pour faire des sessions studios dans la Cité des Anges : « Il voyait bien que c’était la première fois qu’on était dans un processus comme celui-là. Tout de suite on s’est dit vas-y on y va. ». A L.A, le producteur américain Diplo les prend sous son aile et les intègre à tous ses projets, dont celui de Major Lazer (groupe constitué de Diplo et du rappeur Walshy Fire). Ce qui n’est à la base qu’une passion se transforme progressivement et contre toute attente en un véritable métier.
D’un seul coup, on ne fait plus des beats dans notre chambre (…), on construit complètement des morceaux. C’était intéressant, intense. Mais on est revenu de ça parce que ce n’était pas un processus créatif simple.
Clément des Picard Brothers
À Beverly Hills, ils réalisent qu’il est plus facile de « connecter » avec des producteurs, songwriters ou tout simplement avec des artistes du milieu : beaucoup y sont. Mais il y a quand même quelques revers sous les palmiers… À leurs débuts, ils découvrent un microcosme où l’immédiateté prime, ce qui laisse parfois peu de place à la créativité.
Tu peux assez rapidement être dans des studios (…) avec des gens avec qui tu n’as pas d’atome crochu. Tu rencontres une personne pour la 1ère fois et dans 4h il faut que tu produises le prochain single de Rihanna, tu vois. Rien que sur le papier c’est risible mais c’est la norme.
Maxime des Picard Brothers
De ces premières expériences aux États-Unis, ils en tirent plusieurs bonnes leçons. La première, c’est qu’il vaut mieux avoir des idées originales, amusantes et novatrices plutôt que de suivre les références qui sont en haut des charts du moment. C’est indispensable pour pouvoir prétendre créer la tendance, et c’est toujours mieux que d’en suivre une qui, de toute façon, s’essoufflera en quelques mois. L’autre c’est que produire fonctionne bien lorsque l’on a des affinités avec la ou les personnes avec qui l’on travaille. Ils tirent profit de ces enseignements. Cela va s’avérer payant en 2018, une année charnière pour les franciliens.
Cette année-là, ils co-produisent ‘Live It Up’, l’hymne officiel de la coupe du monde de football avec entre autres Nicky Jam et Will Smith. S’ils ont préféré ne pas le crier haut et fort au moment de sa sortie (pour éviter d’être appelés par le 13H de Jean-Pierre Pernaut), cela leur permet toutefois de vivre avec leur père le sacre des Bleus à Moscou.
Mais 2018 ne s’arrête pas là pour eux. Quelques mois plus tard, ils travaillent avec Silk City (duo constitué de Mark Ronson et Diplo) sur un nouveau morceau. Après plusieurs semaines de travail, émerge ce qui va devenir « Electricity ». Romy de The XX écrit les paroles. Il ne manque plus qu’un(e) interprète. C’est alors que se mettent en place diverses tractations et démarchages politiques entre directeurs et directrices artistiques, auxquels les Picard ne prennent pas part.
Au bout de ce processus, c’est la superstar Dua Lipa qui est choisie. Comme la britannique sort « One Kiss » avec Calvin Harris cet été-là, la sortie est retardée de quelques mois. Presque par chance, le titre parvient à exister malgré le succès éclatant du titre de l’été. Il finit même par figurer parmi les nominés du meilleur enregistrement dance aux prestigieux Grammy Awards 2019. Alors qu’ils pensent s’incliner face à ‘Ultimatum’ de Disclosure et Fatoumata Diawara, ce sont bien eux qui repartent avec le trophée. Une consécration qui leur offre une place de choix dans un panthéon où l’on retrouve d’autres gagnants français du gramophone doré : Daft Punk, Justice, Phoenix ou encore David Guetta…
Il faut avoir les pieds sur terre. Nous on est hyper heureux d’avoir un Grammy c’est cool et tout mais… On l’a eu un peu par ricochet. On bombera le torse quand ce sera notre nom qui sera appelé.
Clément des Picard Brothers
Comme on l’évoquait plus haut, à côté de ces « hauts » à Los Angeles il y a aussi parfois des bas. Ce sont des expériences plus savoureuses à raconter qu’à vivre. Un beau jour, alors qu’ils travaillent avec Diplo, on frappe à la porte. Un livreur leur remet une enveloppe contenant simplement une clé USB. L’un des deux frères demande au producteur américain ce qu’elle contient : « C’est les stems d’un morceau de Madonna, vous voulez le faire ? ». Ils acceptent et terminent le morceau le jour même. Ils envoient le fichier mp3 à Diplo qui se charge de le transmettre aux personnes concernées. Et puis plus rien.
Quatre mois plus tard, on leur annonce que La Madone va interpréter le morceau aux côtés de Quavo à l’Eurovision. Ils reçoivent par la même occasion la version finale du morceau. L’incompréhension est totale à l’écoute de ce qu’est devenue leur création. Ont-ils masterisé de façon artisanale une « vulgaire » démo du track, transmise par applications de messagerie ? Après un dialogue de sourds, le couperet tombe : Madonna préfère la version bricolée. « Je leur ai quand même envoyé le wav du track (masterisé, ndlr) par acquis de conscience mais ce morceau là on ne le garde pas trop près de notre cœur parce que ç’avait été fait vraiment n’importe comment. ».
Heureusement, quelques mois plus tard, ‘Nothing Breaks Like Heart’ (titre qu’ils ont co-produit avec Miley Cyrus et Mark Ronson) est un énorme succès. Ce dernier revient d’ailleurs depuis dans les radars à chaque Saint-Valentin… Tout est bien qui finit bien.
Paris, Los Angeles, et après ? Ils ont gardé les pieds sur terre, question d’éducation. Leur vie est désormais totalement dédiée à la musique. Elle ne leur laisse plus beaucoup de place pour autre chose. De leur propre aveu, ils ne peuvent pas se projeter à plus de deux semaines car, un peu comme pour des pompiers, ils peuvent appelés à tout moment pour aller à Los Angeles, parfois pour deux voire seulement un jour. Toutefois, ils le disent : « C’est un métier de rêve (…) les sacrifices sont minimes. ».
On fait des métiers cools mais en même temps j’ai l’impression que ça fait 10 ans que je n’ai pas été en vacances. J’ai toujours mon Macbook sur moi parce que je sais que dans 10 minutes on peut me demander les stems de tel morceau et tel morceau.
Maxime des Picard Brothers
Il y a quelques semaines, ils assistent au concert de Myd à l’Olympia. Ce dernier conclut sous leurs yeux avec le track ‘I Made It’, un titre sur lequel ils ont collaboré avec le trublion de la franchise Ed Banger. Ils espèrent, si l’opportunité leur est donnée, continuer à signer des tracks sur le légendaire label de Busy P. Pour autant, pas de pression : produire pour eux-mêmes doit demeurer récréatif et doit être guidé par la recherche de l’accident, erreur ou imprévu fortuit, source de créativité.
En parallèle, ils préparent doucement mais sûrement un album. Ils veulent davantage se concentrer sur leur projet personnel et tourner. Ils comptent quand même continuer à produire pour d’autres car c’est un « kiff » qui « (les) aide bien aussi pour (leur) projet perso. ». Demain comme aujourd’hui, ils sont sans ego, mais pas sans ambition.
Après avoir déroulé le fil de toutes nos questions, l’interview s’achève. Nous quittons tranquillement le studio d’enregistrement. Les deux frères, grands férus de sport, échangent avec leurs voisins de palier avant d’aller regarder le match du soir. Nous filons de notre côté rejoindre la bouche de métro la plus proche, songeurs. Après les avoir écoutés longuement, on réalise que leur odyssée est finalement très poétique… et qu’elle donne le droit de rêver à l’impossible.
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