Grand Angle : The Magician, le 100e tour

Il se cache derrière l’immense succès I Follow Rivers, remix qu’il a produit pour Lykke Li, mais également derrière le tube Sunlight, définition de l’anthem feel good. Également connu comme moitié d’Aeroplane, il semble être sur la scène depuis des années. Or, toute l’histoire commence en 2010, soit il y a 11 ans. Un éternel jeune ou un jeune éternel ? De Kitsuné à Potion Records, de Namur à Tomorrowland en passant par Paris, de la balearic disco à ses sonorités propres, c’est dans les locaux feutrés mais branchés du label Unity, qui gère ses intérêts en France que Stephen Fasano, a.k.a. The Magician, nous reçoit. Col roulé noir, masque accordé, il se penche pour Grand Angle sur son propre projet, et raconte la naissance, la maturation, et la vision de celui-ci. Une formidable rétrospective, qui peut servir d’exemple…

La genèse de The Magician

The Magician se distingue par un spectre musical impressionnant d’éclectisme. Si la majeure partie de la scène le catalogue deep house ou house, il s’essaie à tout. Il cartonne sur les ondes mainstream (ses travaux pour Lykke Li et Clean Bandit en attestent). Il produit également de la musique plus dancehall : ses collaborations avec Hamza et Ebenezer détonnent et détonent. Une diversité qui démontre une immensité culturelle. Celle-ci s’explique par ses origines, et nécessite de s’attarder sur la création du personnage The Magician …

Stephen Fasano grandit entouré de vinyles joués par la chaîne stéréo familiale. Ceux de ses parents, mais aussi de son oncle, DJ pour divers événéments. Un « DJ sonomobile » (comme le rappelle avec nostalgie le DJ belge) doté d’une collection de vinyles titanesque qui faisaient le bonheur de notre invité. C’est à lui qu’ils reviennent, une fois que le frère de son père décide de changer d’activité. Mais cette faim de vinyles ne s’assouvit pas. Il lui en faut plus. Alors, Stephen écoute DJ Time, une émission belge présentée par la légende DJ Foxy ainsi que les sets du Carré Blanc. Il laisse les sets tourner durant son sommeil, afin de pouvoir enregistrer avec ses cassettes et ses 2 decks les morceaux. Ensuite, il les édite, monte, assemble. Le tout sans ordinateur. Stephen s’attelle à sa tâche en bon sound designer de son temps.

Il ne s’en rend pas encore compte, mais déjà, il créait The Magician et apprenait en auto-didacte. Cela dure quelques années. En parallèle, afin de pouvoir financer cette passion et cette faim de vinyles, il aide son oncle sur les marchés. Grâce à cela, il réussit à s’acheter une platine vinyle Technics SL2. Une belle acquisition, que sa grand-mère complète en lui offrant une deuxième platine. Il n’y a plus qu’à brancher le mixeur deux channels. Ainsi commence l’ère du DJing de Stephen Fasano. Une ère durant laquelle Stephen « brosse » les cours (dixit l’intéressé). En somme, il sèche pour mixer du matin jusqu’au soir.

Cette configuration rythme son quotidien jusqu’à cette proposition d’un bar, qui lui propose de prendre ses platines. Or, Stephen nous assure être ultra timide à cette époque… Cela tombe bien, la propriétaire des lieux lui indique qu’il devra mixer dos à la foule, espace confiné oblige. Il embarque alors ses caisses de vinyles et mixe ainsi de 21h à 6h du matin durant deux années. Il se fait alors repérer par un DJ résident du Fuse à Bruxelles. C’est le début des choses très sérieuses : il en devient résident pendant 3 ans, une fois par mois. Entre-temps, il organise ses propres soirées dans sa ville, Charleroi. Une ville que Stephen dépeint comme industrielle, en proie à la drogue.

« Charleroi est la ville la plus pauvre de Belgique, et on faisait des soirées un peu ‘élitistes’ par rapport au milieu ouvrier de la ville. Ce qui n’empêche pas la ville d’être très open-minded« .

Stephen Fasano, a.k.a. The Magician

Le nombre de participants augmente alors d’édition en édition, et les guests prestigieux s’enchaînent. Laurent Garnier, Ivan Smagghe, Gilb’R, Tiefschwarz, Riton se succèdent aux platines. Il se fait à nouveau repérer par un DJ du Mirano, mythique enceinte bruxelloise héritée d’un ancien cinéma pour les soirées Dirty Dancing. Et il enchaîne avec une nouvelle résidence, qui l’amène à poser ses valises pour la première fois à Paris, au Triptyque. Que certains d’entre nous connaissent sous le nom de Social Club, et désormais appelé Sacré, lequel accueille l’artiste pour célébrer sa centième Magic Tape. Il y côtoie Chloé, Manu Baron et Ivan Smagghe à nouveau. À la suite de cela, il rencontre celui avec lequel il formera le duo Aeroplane : Vito de Luca. Leur tandem naît en 2007, et signe son premier EP sur le label nu-disco de référence de l’époque : Eskimo Recordings. Un moment de félicité et de bonheur pour les deux compères … 3 EPs et un album composeront l’histoire d’Aeroplane, avant que Stephen ne quitte le projet en 2010, et ne se lance sous un nouvel alias. Vous le devinez : ainsi naît The Magician.

« Que ce soit dans le living, avec mon père, dans ma chambre … il y avait tout le temps de la musique. Queen, ABBA, Michael Jackson, Supertramp. De la pop, quoi. Et mon oncle était plus funk, disco, italo (Stephen ayant des origines italiennes, ndlr). Et puis de mon côté, il y avait la radio, la FM (sic) pour écouter des shows plus pointus : new beat, acid house, techno ».

Stephen Fasano/The Magician

Stephen met également en exergue l’émergence tardive de la Techno en Belgique. Celle-ci l’a obligé à chiner ses disques et vinyles loin de Charleroi. À Anvers tout d’abord, mais également à Londres, dans le mythique quartier de SoHo qui déploie les disquaires à perte de vue. A côté des disques, il collectionne les flyers, les classe en fonction des événements et par ville.

The Magician naît donc d’une gestation caractérisée par un bain musical fourni, ainsi qu’une passion bouillante. Le tout, supporté par sa compagne à ce moment, qui travaille toujours de concert avec Stephen sur Potion Records et son identité visuelle aujourd’hui.

La Magic Tape : appellation d’origine contrôlée

« Je ne voulais pas l’attention du public sur moi, mais en ressentir l’atmosphère, la vibe. Qu’on m’entende, me voie, mais pas qu’on me regarde… »

Stephen Fasano/The Magician

Au moment de cet entretien, nous sommes à H-7 de la sortie de la Magic Tape 100. 15 artistes, 15 morceaux, que The Magician allait dévoiler en live sur YouTube et Beatport lors de son set à Sacré. Avant cela, le DJ/producteur se souvient de sa première Magic Tape. Car il y a un début à tout, et s’il évoquait d’abord la genèse du projet, le voilà en train de nous expliquer le développement de celui-ci. Tout commence par une mixtape …

Les mixtapes faisaient déjà partie de son quotidien (avec ses cassettes et vinyles) et de celui d’Aeroplane, mais son premier partage comme étant The Magician ne sera pas un single, ou un EP. Non, ce sera celui de la première Magic Tape. Un projet personnel qui reflète entièrement la personnalité et le spectre musical de son créateur. Il y dévoile ses trouvailles, ses influences Disco, House.

La première édition de ce show, actif depuis le 12 juin 2010, débute par le classique Beam Me Up, de Midnight Magic. Un titre coup de coeur que le producteur rejouera dix ans plus tard … dans sa voiture à Bruxelles, au moment du premier confinement. Enceintes à fond dans la rue. Et visiblement, ça a plu. « Je voyais les gens contents, danser à l’écoute de ce morceau » sourit Stephen. Cela souligne le côté selector du maestro, qui ressurgit sur ses Magic Tapes. Celles-ci conservent leur fraîcheur même des années après leur sortie. Pêle-mêle, on peut vous citer la numéro 1, la numéro 50, la numéro 52, ou encore la Year Mix 2016 … Leur secret ? Un processus inchangé depuis 2010. Chaque Magic Tape est un showcase d’artistes et de morceaux reçus en promo ou diggés par le producteur en personne. De sorte qu’aucun mix ne ressemble au précédent. « Le tout réside dans la fraîcheur des morceaux, c’est important. Quel pied de voir que les fans les trouvent meilleures au fur et à mesure de leurs sorties » se réjouit-il. Il veut « nourrir » son auditoire avec des genres hybrides, tout en s’affranchissant des étiquettes pour caractériser ses morceaux. The Magician aime faire les meilleures soupes dans les vieilles marmites. Et comme pour entretenir cette fraîcheur, il propose toujours sa dernière Magic Tape sous forme de playlist Spotify, au titre éponyme.

« Ce n’est pas un calcul, la Magic Tape. C’est moi, c’est ce que j’aime, c’est que j’ai envie de faire découvrir ».

The Magician

Mais avant la 100è, il y a d’abord la 99ème. Pour celle-ci, Stephen voulait marquer le coup. Il l’imaginait comme un long set. Il sort alors une mixtape de 3h, qui respire la soirée en club, avec une évolution exponentielle calquée sur la progression d’une soirée. Warm-up, main act, peak time. Cela se sent : on passe de son remix de Dope Lemon au breakbeat d’Overmono, tout en entendant la tech house effrenée de Patrick Topping.

Pour la 100ème Magic Tape, un processus particulier a été prévu par le DJ à la baguette magique. En effet, pour la première fois, il jouera 15 morceaux représentant 15 artistes. Chaque morceau a été conçu par ceux-ci dans la vibe et l’univers The Magician. Dès lors, on rencontre des habitués et proches (The Aston Shuffle ou Fabich), des nouveaux venus (comme Planningtorock; ou Warner Case et Jean Tonique, qui produisent chacun un track après avoir sorti le groovy Ok sur Potion), ainsi que des artistes que le Belge aime jouer : Boston Bun, Mozambo, Lxury, Ten Ven, Pat Lok … Une Magic Tape disponible pour la première fois officiellement, en double vinyle et en cassette (comme un clin d’oeil à ses origines). Mais aussi sur les plateformes habituelles de streaming. Mais Stephen nous assure être fier d’autre chose grâce à cette mixtape :

« J’arrive aujourd’hui à l’objectif que j’ai poursuivi depuis le début pour la Magic Tape : jouer 15 morceaux inconnus »

The Magician

….

Une identité visuelle envoûtante et caractéristique

The Magician a quelque chose de particulier. Une marque de fabrique. Sa communication sur Instagram ressemble à celle que Martin Solveig cultivait autrefois : aucune photo ne se ressemble, chacune dispose de son propre cachet et livre des indices sur le producteur … Au milieu de ses line-ups se dressent des photos très arty, d’autres presque incompréhensibles. Sauf que c’est bien connu … Un magicien ne révèle pas ses secrets. Cela fait le charme de ce compte, et donne envie d’en savoir plus. Car avec sa comm’, vient sa direction artistique.

Sa direction artistique, elle est assurée par l’artiste français Baptiste Alchourroun. Lequel est connu pour son style décalé, unique en son genre. Responsable des covers des tracks Potion Records, mais aussi de celles des Magic Tapes, nous rappelons à The Magician certaines couvertures. Et celle qui vient en tête est celle de la Magic Tape 69, aussi évocatrice que son numéro (cf ci-dessus). Le DJ explique ainsi travailler de loin avec lui, distance oblige, mais que leur relation de travail est très agréable car l’artiste comprend les envies de Stephen, tant en termes de travail que de vision artistique. A propos de cette mouture particulière de la Magic Tape, il nous livre une anecdote plutôt sympathique à l’égard de la MT69. Le Belge nous raconte ainsi qu’il voulait la jouer en live, mais qu’il se trouvait à New York à ce moment. C’est alors que son manager de l’époque lui dit : « tiens, et si on la faisait au Musée du Sexe ? ». C’est exactement ce qui se réalisera, avec en prime le soundsystem du Paradise Garage. Une ode à Larry Levan, que The Magician apprécie particulièrement. Baptiste Alchourron a donc les faveurs du Belge, mais ce dernier s’interdit de se l’arroger exclusivement. Tant pour le premier que pour le dernier.

« Je ne ferme la porte à personne, mais je confie tout à Baptiste en termes de DA. J’aime bien Baptiste : il est ouvert, donne son opinion tout en restant ouvert à la critique. Puis, il est bon illustrateur ! »

The Magician

De l’indépendance de Potion Records aux projets à venir, en passant par le confinement : une Renaissance

La Magic Tape 100 est également l’occasion pour The Magician de revenir sur le devant de la scène avec un style qu’on lui connaît très bien et un titre : One Vibration. Comme si cette Magic Tape 100, en dépit de l’hétérogénéité de ses artistes, célébrait l’homogénéité de leurs visions quant au projet du Belge. One Vibration est un track comme seul Stephen Fasano sait les faire : dansant, groovy, avec un vocal catchy, qui ne peut que fonctionner. Qu’on le joue en première écoute ou qu’on le rejoue pour la centième fois. Et le clip met en scène madame Silvia Saint-Martin, premier danseur de l’Opéra de Paris… La scène électronique rencontre ainsi la danse et l’Opéra : peu d’artistes peuvent se targuer de conjuguer habilement ces mondes si proches mais en même temps si différents.

Or, avant One Vibration, il y a eu l’époque Kitsuné. Puis le temps Spinnin’. L’ère Sony et Warner (Parlophone). Des noms qui font rêver n’importe quel bedroom producer, tant ils caractérisent le succès et la célébrité. Lorsqu’on lui demande des précisions sur le fait de vouloir se lancer en indépendant avec son label, Potion Records (pourtant actif depuis 2014), The Magician nous explique alors avoir valsé entre les majors durant les années, tout en enchaînant les hits. De When The Night Is Over, à Sunlight, sans oublier son remix pour Rather Be ou encore Together. Sauf que les sirènes pour être son propre patron se font de plus en plus sonores et pressantes. En 2019, Stephen part de chez Spinnin’ Records, qui s’occupait de ses sorties et du volet administratif. Il met aussi un terme à ses relations contractuelles avec Sony afin de pouvoir signer The Magician sur Potion. Ce qui, ironie du sort, n’était jamais arrivé !

Et puis, 2020 arrive. Stephen avoue avoir eu très peur des retombées de la crise sanitaire relative à la pandémie de COVID-19. Après un dernier gig privé en Guadeloupe, il se confine chez lui et dans son studio, situé à l’étage au-dessus de son appartement au 6ème étage. Il commence par trier ses vinyles. Puis, lui vient l’idée de les jouer en live pour s’amuser. Non sans rigueur : cela lui demande un temps de préparation conséquent, des répétitions, des recommencements. Les mixes Supervision prennent alors forme, et feront danser les foules confinées, avec leurs légères mais nécessaires et parfaites imperfections, héritées du format vinyle. En outre, le confinement lui aura également permis de travailler un format qu’il n’avait que très peu approché par le passé : le live. « J’avais une 303, une 707, mon Moog, un synthé … et j’ai fait un morceau live, que j’ai enregistré sur cassette ». Un morceau « bidouillé » sur l’instant, que l’artiste ne peut étiqueter. « Du The Magician, avec un peu de vin et un petit bédo » rit Stephen.

L’année 2020 est également celle de la sortie de son EP Renaissance. Son premier EP en indépendant : un titre tout en symbole. Ce trois-pistes fait le bonheur de tous, car il offre au monde l’exceptionnelle You & Me, que ses plus fidèles fans attendaient depuis son closing sur la scène Sexy By Nature au premier weekend de Tomorrowland 2019. 4 autres remixes (pour Dope Lemon, Mercer, Fun Fun et son ami Boston Bun) suivront avant de passer à la nouvelle année. L’année 2021, fraîchement commencée, lui permet de célébrer un autre anniversaire. Celui du tube planétaire, qui l’aura propulsé au rang de star : son remix de I Follow Rivers pour Lykke Li. Un morceau repris dans les BO de films comme « De Rouille et d’Os » d’Audiard, ou l’oscarisé « La Vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche. Lorsqu’on lui demande s’il veut composer pour le cinéma, Stephen ne sourcille pas.

« Mais carrément … Je fais, en mon sens, plus de la musique de film que de la musique de club, de la musique qu’on peut associer à une image. Comme le clip de You & Me, que j’ai pensé et partagé avec un réalisateur et une dessinatrice. Une sorte de bande originale pour nos vies ! »

Stephen Fasano/The Magician

Cette anecdote a l’inconvénient de rappeler à la réalité des clubs fermés. Plutôt que de s’apitoyer dessus, autant se souvenir des bons moments, de ceux où Stephen partait en touring sans discontinuer. Quand on lui demande comment il faisait, avant le COVID-19, pour entretenir son réseau, il nous confie beaucoup communiquer avec nombre de DJs. Il esquisse également une certaine nostalgie à l’égard des festivals. « Tu y vois tout : certains qui sont cool, d’autres non. Ceux qui sont bourrés, ceux qui ont pris de la drogue, ceux qui sont clean. Mais c’est de gros festivals. Comme Tomorrowland par exemple … On a la pression. Donc on peut parfois avoir envie de rester seuls avec nous-mêmes. On est humains ! ».

Si 2020 est passée, tout reste donc à faire en 2021. C’est l’année des projets. Pour la dernière question de cet entretien à ce sujet, il répond sans concessions. Sa musique, il la veut pop, club, mais aussi instrumentale, avec des superpositions d’accords. Il la veut aussi sur un format plus long. C’est le moment que choisit Stephen pour nous annoncer qu’il compte sortir un album. Il a cette idée depuis quelque temps. C’est son « next gros projet », qu’il travaillera tout en portant un oeil attentif et prudent sur la pandémie actuelle. « J’en ai besoin. J’ai aussi envie d’essayer d’y poser ma voix. Je vois la voix comme un instrument, que je peux utiliser de façon mélodique et unique ».

Au moment de se quiiter, on sent Stephen heureux de cet achèvement, mais en appréhension : il faut que cette Magic Tape soit parfaite. Le hasard fait bien les choses. Le travail les fait encore mieux : la mixtape est une réussite. Elle est désormais disponible sur tous les réseaux possibles.

La Magic Tape 100 est disponible en double vinyle, cassette, ainsi que sur SoundCloud et les plateformes habituelles de streaming (en version unmixed).

Mino
Grooves endiablés et douceur mélodique rythment mes journées. Je passe également des disques avec l'équipe après les 39h.