Grand Angle : Meduza, la formule gagnante

Présent dans nos colonnes depuis 2015, le binôme émergeant de la scène progressive Simon de Jano et Matt Madwill disparait progressivement des radars au cours des dernières années. En 2019, c’est sous la forme d’un trio que les Italiens effectuent une nouvelle mutation. Simone Giani, Mattia Vitale et Luca De Gregorio sont désormais Meduza. Déjà sous-jacente dans leurs précédents projets, la vision des Milanais prend aujourd’hui une forme plus concrète. Mêlant productions House accessibles et lyrics résolument Pop, Meduza trouve sa recette à la croisée des genres. Symbole d’un retour des tendances électroniques vers les sonorités underground, les Meduza retracent avec nous la genèse du premier groupe made in Italy à se classer en tête des charts britanniques depuis Eiffel 65 il y’a 20 ans de cela.

Contactés en confinement, les Meduza sont deux à répondre aux sollicitations des médias durant cette fin d’après-midi hivernale. Retenu par une urgence vétérinaire, Simone ne sera pas de la partie. Les présentations s’engagent donc avec Matt et Luke, ou plutôt Mattia et Luca. Cheveux grisonnants, le frontman du groupe semble déjà bien rodé à l’exercice médiatique et échange avec assurance, mais aussi discernement sur les thèmes abordés. Plus discret, Luca se contente d’intervenir sporadiquement, notamment lorsque l’on s’intéresse aux aspects du travail d’équipe.

On ne sait que peu de choses sur ce dernier. Symbole des industries nationales souvent peu propices à l’épanouissement des producteurs, il apparait avoir officié dans l’ombre sous le nom Luke Degree durant de nombreuses années. Aujourd’hui, il est désormais bien plus visible avec un rôle prédominant en studio que reconnait volontiers Mattia. « C’est sûr qu’il est meilleur que moi sur Logic et avec les software en général ». Un DJ -Mattia-, un compositeur -Simone, notamment passé par le conservatoire de Milan avec Luca- et un ingé-son -Luca-, voilà la configuration inédite d’un trio gagnant.

Si cette forme de répartition des rôles peut en quelques sortes rappeler celle d’un groupe de rock, on retrouve bien moins d’exemples de ce type dans la sphère électronique. « Ce qu’on a compris en 2014 quand Luca a commencé à nous rejoindre en coulisses, c’est que le touring actuel oblige les artistes à travailler avec une équipe, notamment en ce qui concerne les productions » explique Mattia. Plutôt que d’entretenir une ambiguïté avec son public et de cacher d’éventuels ghost producers, les Italiens semblent avoir trouvé un modèle sain. « En tournée, tu peux commencer une idée sur PC, mais c’est toujours compliqué d’aller au bout du processus, car tu n’as ni le temps ni l’environnement nécessaire pour penser à la production. Pour être en studio et te montrer productif, tu dois y être concentré, rester peut-être une semaine en ayant une idée claire de ce que tu veux créer. On a pensé que construire officiellement l’équipe avec Luca serait une décision judicieuse pour créer quelque chose qui serait “parfait” dans chaque aspect de ce qu’un artiste moderne doit couvrir ».

Ce qu’on a compris en 2014 quand Luca a commencé à nous rejoindre en coulisses, c’est que le touring actuel oblige les artistes à travailler avec une équipe, notamment en ce qui concerne les productions

Chacun des membres a une force à apporter, mais les rôles ne sont pas figés pour autant. « L’avantage de la situation, c’est que tu n’es pas cantonné à un unique rôle. Quand on se retrouve en studio, on est libres d’expérimenter ce qu’on veut. En tant que DJ du groupe, je peux me mettre au piano, partager une idée sur l’aspect club… on a la chance d’avoir des rôles interchangeables ». Un procédé créatif basé sur la polyvalence et la spécialisation, c’est ce qui permet d’élucider la réussite éclatante des Meduza. Mais Mattia a également d’autres interprétations. « Les gens nous voient arriver de nulle part, mais on se connait depuis longtemps. Simone et Luca bossent ensemble depuis 10 ans, avec des réussites et des échecs à la clé. Évidemment, on ne s’attendait pas à ce que le projet explose de la sorte, c’est quelque chose d’impossible à appréhender. Il y a le facteur expérience, car derrière Meduza il y a des années passées à bosser en commun, mais c’est aussi une question de chance et le timing qui rentre en compte. »

La chance et le timing sont évidemment des paramètres obligatoires à souligner quand on regarde l’explosion du début single du groupe, ‘Piece Of Your Heart’. Énième ajout à cette interminable liste des hits écrits à l’instinct et bouclés et quelques heures, le triomphe instantané du titre, véritable phénomène Shazam, aura scotché tous les observateurs tel un clin d’œil iconographique au mythe de la méduse autour duquel se construit l’identité visuelle du groupe.

En propulsant un titre à plus de 600 millions d’écoutes Spotify et nominés aux Grammy Awards, le tout en lancement de projet, les Italiens se retrouvent au centre d’une frénésie peu commune. Un exploit qui bouleverse forcément les perspectives du groupe. « Outre le fait que je ne puisse plus rejoindre les autres en studio avec les tournées, les idées avaient du mal à venir car il y avait beaucoup de pression autour de nous. Après ‘Lose Control’, ça a été compliqué de passer une année entière sans trouver quelque chose d’assez fort à notre goût ».

Les Milanais sont parfaitement conscients de leur nouveau statut : « La pression ne s’arrête jamais. Quand tu signes, on te dit que c’est le premier single qui va être déterminant. Ensuite c’est finalement le second qui est le plus important, puis le troisième, le quatrième, etc. » plaisante Mattia. « Au-delà du label et du management qui ont des attentes, la pression était surtout personnelle. C’est ce qui se passe quand tu es dans la position rare d’être celui qui crée une tendance. Ce n’est pas évident d’être créatif et productif en sachant que beaucoup vont être attentifs à ce que tu fais ».

La pression ne s’arrête jamais. Quand tu signes, on te dit que c’est le premier single qui va être déterminant. Ensuite c’est finalement le second qui est le plus important, puis le troisième, le quatrième etc.

En tant qu’artiste émergeant recevant une attention probablement démesurée comparée à l’ambition initiale, les potentiels écueils sont nombreux. Tomber dans la facilité et surcharger son public d’un contenu répétitif, ou surréagir et chercher à innover sans jamais parvenir à imposer de réelle identité sonore? Meduza prônent l’équilibre. « Ce qu’on espère à chaque release, c’est de ne pas sortir de titres dont on n’est pas pleinement satisfaits, on doit être les premiers à valider les sorties. Ensuite, l’équilibre entre House et Pop, on l’obtient de manière assez simple. Quand on termine un son en studio, on lui fait faire un car-test puis on le joue en club. Si on arrive à chanter le titre en voiture et qu’on ressent le même feeling en club, c’est qu’on tient quelque chose qui a le bon équilibre House/Pop. Quand une démo te donne le bon feeling alors tu sais qu’il faut foncer. »

Plutôt que de tout chambouler, le trio assume la cohérence évidente affichée sur les premiers singles. Ils confient vouloir rester dans un processus « d’amélioration de notre style » dans un premier temps. « Sur ‘Paradise’, la distinction c’est que le vocal est résolument plus pop », résume Mattia. Il développe, « Tout fonctionne actuellement. Quand tu as une formule qui est bonne, je ne pense pas que tu aies de choses à changer, tu dois suivre ton instinct. Peut-être que l’expérience va nous aider à faire évoluer notre fonctionnement sur certains points. En tout cas, ce que j’ai appris de plus important avec Meduza, c’est la manière d’écrire un titre. Tout a changé pour nous depuis ‘Piece Of Your Heart’. En essayant de travailler avec des profils différents en studio, venant de mondes extérieurs à la House, j’ai compris certaines choses qui vont m’aider sur Meduza, mais aussi personnellement, de manière plus générale ».

Car si Meduza s’impose en misant sur une esthétique sonore assez unique dans l’approche instrumentale avec notamment ce fameux square plug qui inonde désormais les productions de bon nombre de leurs pairs, c’est aussi le travail de songwriting qui confère une telle force aux hits des lombards. « Les choix qu’on fait en termes de sélection des vocalistes sont cruciaux. On est conscients que la voix compte beaucoup en pop. Ce qu’on veut, c’est être touché par le vocal. Quand on a découvert Dermot Kennedy à l’occasion d’un de ses titres qu’on a remixé, en travaillant sur sa voix, on a senti qu’il avait quelque chose de différent et frais. Il génère une émotion spéciale, qu’on avait déjà sentie chez Becky Hill et les Goodboys. On ne les entend pas sur le titre, mais ils sont présents à l’écriture. On a développé une très bonne alchimie en studio avec eux. […] On commence l’écriture avant de choisir le vocal, c’est un exercice difficile car il faut avoir l’oreille et savoir identifier quel type de voix tu recherches sur un instrumental donné. On a testé trois voix sur ‘Paradise’ et Dermot a été celui qui nous a donné le feeling qu’on recherchait ».

Quand on aura l’opportunité de faire de la place à de nouveaux talents italiens, on pensera à un label pouvant les soutenir et les exposer aux yeux du monde, afin de donner un nouvel élan à la scène italienne.

Avec la sortie de ce dernier single ‘Paradise’, Meduza inaugure par ailleurs le nouveau label de son agence : Cross Records, en gardant néanmoins l’appui d’Universal Music. « Ça nous permet d’avoir un meilleur contrôle des opérations et l’agence a désormais l’opportunité de développer de nouveaux talents comme James Hype par exemple ».

La décision de rester auprès des équipes Universal en Angleterre confirme sans surprise la puissance de ce marché à l’échelle globale, mais surtout sa compatibilité avec les sonorités House. En prenant racine au sein d’une culture où les hits électroniques sont aisément diffusés en journée sur des stations telles que la BBC Radio One, les Meduza capitalisent sur un registre ayant déjà fait ses preuves dans le royaume avec des noms comme Gorgon City ou Route 94. Outre-Manche, le trio s’ouvre des possibilités bien supérieures à celles présentes dans son Italie natale. « La culture House et électronique reste limitée auprès du grand public en Italie. On a eu une effervescence dans les 90’s avec l’Europop, mais aujourd’hui les charts sont dominées par des mouvements trap, rap ou soul. Après, c’est à peu près le cas partout dans le monde. Notre objectif c’est d’avoir une influence positive et de générer des vocations auprès de notre genre de musique, notamment en Italie. Quand on aura l’opportunité de faire de la place à de nouveaux talents italiens, on pensera à un label pouvant les soutenir et les exposer aux yeux du monde, afin de donner un nouvel élan à la scène italienne. Mais avant cela, on doit s’assurer d’avoir les épaules nécessaires ».

Si l’Italie possède déjà ses références en matière d’Underground via des figures comme Marco Carola, Joseph Capriati, Tale Of Us, Mind Against ou Agents of Time, le pont entre les univers Pop et Underground proposé par Meduza a pour sa part un caractère inédit. Avec la validation des deux côtés du spectre culturel, notamment via un remix de leur premier single signé Joris Voorn, Mattia, Simone et Luca ont trouvé la formule idéale pour séduire. L’aspect mainstream du projet conféré à première vue par les singles du groupe contraste avec un travail d’ensemble bien plus varié. En live, Mattia propose une sélection relativement pointue et orientée club, avec un univers oscillant entre la Progressive House de Prydz, Cristoph ou CamelPhat et la Melodic House de Mathame, Cassian et Yotto.

« L’exercice du DJ Set est également un aspect sur lequel Meduza m’a fait évoluer », confie Mattia. « En commençant à jouer dans les gros festivals, tu changes l’approche que tu as de ta performance. Notamment celle du playlisting. Chaque endroit est différent donc tu dois savoir t’adapter. La première chose que j’ai dû respecter, c’est que de ne pas avoir de tracklist préparée, tu dois aller dans le club et sentir l’énergie. »

Avec l’ampleur des sollicitations, le DJ n’a évidemment pas toujours le loisir d’exercer une telle liberté. « Parfois sur des événements majeurs, tu es restreint par le fait que tout doit être coordonné : le son, les visuels, les lumières, etc. Je dois jouer le jeu même si je préfère mixer librement pendant deux, trois ou quatre heures ». Pour dépasser ces fameux DJ Set raccourcis devant des foules ne voulant entendre que les tubes du groupe, ce dernier travaille en parallèle un format Live Show sur lequel il souhaite encore rester discret. « On serait tous les trois sur scène avec des instruments et une scénographie adaptée, mais on va devoir attendre d’avoir plus de titres sortis pour ce genre de prestations 100% Meduza ».

Du 100% Meduza, c’est néanmoins déjà possible en DJ Set. Mattia en a notamment fait la démonstration en Islande à l’occasion d’un livestream organisé par le curateur Selected. On y retrouve les nombreux remixes progressive sortis au cours des derniers mois pour R Plus, Lifelike ou Friendly Fires, ainsi que quelques ID taillées pour les clubs comme la redoutable ‘Headrush’.

Bientôt deux ans après le lancement du projet, Meduza demeure la dernière révélation grand public du paysage électronique. Signe s’il en fallait un qu’un tel tour de force est loin d’être aussi fréquent qu’il y a quelques années de cela. En trouvant un équilibre intelligent entre des codes divers qui leur permettent aujourd’hui d’attirer des labels prestigieux comme Defected Records, les italiens semblent avoir concocté la formule gagnante pour boxer à la fois dans les catégories mainstream et underground. Avec seulement quatre singles disponibles à ce jour, il reste néanmoins beaucoup à prouver pour Meduza et ses trois têtes de gondoles au parcours atypique dont le travail porte aujourd’hui des fruits inespérés.