Dossier : Quel est l’impact environnemental de la musique électronique ?

En ce 22 Avril, jour de la terre, plus d’un milliard de personnes dans 193 pays passent à l’action chaque année dans le cadre de ce jour si spéciale. Pour l’occasion, nous avons décidé de mettre notre petite pierre à l’édifice, en vous sensibilisant à l’impact très important qu’à le monde de la musique électronique sur notre belle planète.

Aujourd’hui, on va parler donc d’un sujet qui fâche (encore un !). Ce sujet est celui du réchauffement climatique, et nous allons nous centrer sur notre petit monde de la musique électronique, en constatant que, d’un point de vue environnemental, nous sommes loin, très loin, d’être des exemples.

Jets privés, utilisation multiples d’avions toutes les semaines, consommation de plastique et d’électricité des festivals et des concerts ou encore diffusion live des événements, nous allons tenter à notre échelle de faire le tour des problèmes et des solutions, raisonnables et radicales, que nous pouvons émettre. En guise de différentes parties, nous vous proposons de faire du cas par cas, des émissions de pollution les plus importantes au moins importantes.

I – Le transport des artistes

Incontestablement une énorme source de pollution, le transport des artistes se fait principalement par avion, qu’il soit privé ou non. Et les artistes qui tournent plus ne se limitent pas à un avion par semaine loin de là. Arrivant parfois à prendre l’avion plus de 10 fois par semaine, cela montre une chose cruciale, qui est le non-prise en compte du bilan carbone dans les résultats annuels des artistes (pour ne se limiter qu’à eux pour l’exemple …). Dans son information de Juillet 2019, « B&L Evolution » publie une note bien hardcore des gestes personnels à effectuer afin de limiter le réchauffement à +1,5°C en 2030, notamment sur l’utilisation de l’avion. Le jeune français (/européen) devrait se limiter à 2 vols aller/retour par an maximum, en ne recourir qu’aux transports terrestres pour des trajets de moins de 4h.

Imaginez ce modèle appliqué aux DJs. La contrainte économique actuelle reste paradoxale où la majorité des prix du billet d’avion reste 2 fois plus faible que le billet de train. Ceci ne joue certainement pas en la faveur d’un choix plus écologique dans la prise de décision du DJ européen. Sans compter le fait que les artistes subissent l’agenda des promoteurs de festivals et clubs de plusieurs pays différents, pouvant être amenés à revenir dans le même pays à quelques semaines d’intervalles, ce qui peut amener à ruiner toute optimisation écologique. Reste aussi le problème du mythe de la compensation « un avion pris, un arbre planté » qui relève plus du symbole et de la bonne conscience que du geste scientifiquement engagé et réellement utile.

Pour vous donner une idée, une tonne de CO2 provoquée par un aller simple Paris-New York (1,3t pour être précis, mais on tronque) nécessiterait la plante de 30 arbres et, qui plus est, doivent être âgés, comme le montre cette étude de Nature de 2014, afin de maximiser son absorption en CO2. Pas sûr que les DJs s’assurent de ces paramètres. On a donc du chemin avant de sensibiliser l’intégralité des artistes à ce genre de problème.

II – Le transport des spectateurs

Et oui, nous ne sommes pas innocents pour autant ! L’offre étant aussi nocive que la demande, nous avons notre part de responsabilité quand il s’agit d’effectuer des trajets pour aller à nos festivals et concerts préférés. L’avion reste le moyen le plus prisé pour se rendre à ce genre d’événements car disséminés sur le globe. Nous abordions l’information de « B&L Evolution » sur le nombre de vols limité par personne, il nous concerne tout autant que les DJs. En termes de chiffres purs, si le seuil visé est de +1,5°C pour 2030, il faudrait passer, en France, d’une moyenne actuelle de 17 tonnes de CO2 par ménage (ménage = famille = 2,3 personnes, pour faire simple) à 1,7 tonnes ! Comme le démontre Jean-Marc Jancovici, ingénieur scientifique et vulgarisateur réputé sur le sujet de l’énergie et du climat, dans cet article de La Croix :

« 1,7 tonnes, c’est au choix, un an de chauffage au gaz pour un appartement de 85 mètres carré relativement peu énergivore (100 kWh/m2/an), 10 000 kms parcourus en voiture avec une consommation de 6 litres au 100, ou encore la fabrication de 1,3 ordinateur. […] La première évidence, c’est qu’il ne sera plus possible de prendre l’avion tous les ans. Un aller-retour Paris-Pékin représente 3,6 tonnes de CO2 par passager, un Paris-New York 2,6 tonnes, un Paris-Marrakech 1 tonne. »

Autant dire qu’un festivalier français prenant l’avion pour l’Ultra Miami fait directement exploser son compteur annuel. Cependant, notre chance en France, d’un point de vue strictement énergétique appliqué à la question du transport de masse, est notre parc nucléaire (72% de l’énergie électrique, selon les chiffres d’EDF) qui permet un transport ferré bien moins carboné que la majorité des autres pays dans le monde. Mais en pratique, ce choix s’avère être plus coûteux qu’un trajet aérien, posant aussi bien un dilemme financier que environnemental pour le voyageur. On y reviendra dans la rubrique des solutions.

III – La consommation énergétique des festivals et concerts

Les festivals consomment de l’énergie, c’est le moins qu’on puisse dire. Des murs LED aux jets de flammes, des lasers aux stroboscopes et du système audio aux caprices des DJs, le festival doit voir sa consommation électrique (entre autres) atteindre des sommets de kWh. En cherchant un peu sur Internet, il a paru impossible de trouver un document s’approchant de la facture électrique d’un festival aussi conséquent que ceux dont nous parlons tout au long de l’année. Par contre, nous pouvons nous faire une idée au niveau des festivals généralistes. En effet, une étude de l’impact des groupes de musiques (2009) montre la consommation énergétiques des lieux où se produisent les groupes de musiques en fonction de la capacité des salles. Cela ne correspond pas au style de vie des DJs, mais peuvent donner des indications, dans l’exemple d’un concert.

L’article contient de nombreux graphiques très intéressants. On peut y apprendre, par exemple, qu’un concert moyen dans un stade en Europe émet 25 tonnes de CO2, soit 10 allers-retours Paris – New York ! Avec des statistiques pareilles, il serait curieux de savoir combien coûte énergétiquement un concert comme un « Cube V3 » de deadmau5, un set HOLO(SPHERE) d’Eric Prydz ou même un festival comme le Defqon.1 réputé pour sa démesure scénique, et d’en déduire sa production en CO2 générée.

Des chiffres qui pousseraient à la sensibilisation de tous, y compris des acteurs eux-mêmes. Des festivals l’ont compris comme Glastonbury Festival qui a établit sa charte de principes écologiques et énergétiques, en plus de donner des consignes sur l’accès au site via les transports en commun. Et plus récemment, l’UMF Miami voulant « se rapprocher des associations locales pour le replantage d’arbres et nettoyage de plages ». En espérant que ces initiatives compensent par une valeur supérieure ou égale à leur production de CO2, chose qui reste à prouver scientifiquement sur le terrain.

IV – Le streaming et le stockage de contenu

Très peu connu du grand public, le coût énergétique de la vidéo en ligne est largement sous-estimé dans nos consciences. Il est en effet difficile de concevoir qu’un objet dématérialisé puisse avoir un impact sur l’environnement. Pour cela, il suffit simplement d’énoncer le fait que le contenu en ligne, quelque soit sa forme, d’une vidéo à un fichier audio, d’une image de chaton trop mignon à un article Guettapen, cet objet est stocké sur un serveur, serveur consommant de l’électricité, électricité produite via une machine utilisant une matière plus ou moins propre (nucléaire, vent, barrage, gaz, charbon …).

Si l’on prend le cas de Youtube, plateforme où sont hébergés entre autres, des vidéos de musique, et ce même si le fond de la vidéo est fixe, ce qui fait que le média consommé n’est pas exclusivement de l’audio. Un sondage mondial IFPI réalisé en 2019 auprès de 34 000 personnes estime que 77% des utilisateurs « ont utilisé YouTube au cours du mois écoulé pour écouter de la musique ».

Dans la même veine, le think-tank « The Shift Project » alerte plus globalement sur la vidéo en tant que contenu mais aussi sur le streaming, sujet qui nous touche également lorsque l’on visionne le flux vidéo en direct de l’UMF ou de Tomorrowland. Si on prend de la hauteur et que l’on observe le parcours du flux entre le festival et notre écran, que voit-on ? Une image est captée par une caméra, transmise à un serveur, puis renvoyée sur notre terminal, que cela soit sur téléphone ou ordinateur, via Wi-Fi ou 4G. Et on peut par la suite s’imaginer la dépense que cette énergie représente. Pour avoir un regard encore plus objectif, une documentation toujours du « Shift Project », intitulée « l’insoutenable usage de la vidéo en ligne », établit clairement en 2 pages PDF les chiffres de la consommation de la bande passante d’Internet : la vidéo y représente 80% !

On peut aisément retrouver notre problème de streaming de festivals dans les 18% de ces 80%, rubrique « Autres »; qui reste néanmoins faible si on le compare à des chiffres tels que les services de VoD (Amazon Prime, Netflix) à 34% ou le contenu pornographique à 27%. A relativiser, donc. Le problème du streaming audio (Apple Music, Deezer, Spotify …) se révèle aussi, avec cette étude signée « Pitchfork » qui estime la production de CO2 des plateformes musicales entre 200 000 et 350 000 tonnes rien qu’aux Etats-Unis en 2016, sans pour autant montrer comment ils arrivent à ce résultat et discriminer leurs données brutes. Comme le montre différents articles, en moyenne, « regarder sa musique » sur Youtube (flux audio + vidéo) est plus énergivore que le streaming d’un fichier audio encodé en MP3 (flux audio), en fonction des paramètres bien entendu (240p ou 720p, MP3 192 ou MP3 320, etc …).

V – Le plastique

Problème de plus en plus visible et mis en avant, la consommation de plastique est autant une pollution des sols, une pollution visuelle, qu’une pollution carbonée. Nombre de photos de lieux plastifiés nous ont déjà indignés. Pour rester dans notre domaine de la musique électronique, on commence à être habitué à des lieux de festivals désertés laissant place à des marrés d’emballages, de verres, de mégots de cigarettes ou de joints, de chewing-gum, etc.

D’un autre côté, le problème se pose pour les festivals/clubs s’ils étaient sommés de changer les verres en plastique par des verres en verre. Il suffirait d’un verre casser pour envoyer 5 ou 6 festivaliers/clubbers aux urgences. C’est la raison pour laquelle le verre « éco cup » reste un compromis idéal pour les événements, forçant le consommateur à être responsable (avec la consigne). Même compromis pour la paille en carton venue remplacer la paille en plastique. Oui c’est moche et pas agréable, mais le confort tronqué pour un coup de pouce pour la planète en vaut la peine.

C’est l’une des raisons de la Heartfeldt Foundation de Sam Feldt, qui a pour missions de « déplastifier » leurs riders des artistes, au milieu d’autres directives, comme limiter/renoncer à la consommation de produits animaliers ou encore la compensation [réelle ?] des trajets en avion par le plantage d’arbres. On pense aussi à Ninja Tune qui renonce au packaging plastique pour leurs releases vinyle/CD pour un packaging en carton et, accessoirement, l’utilisation de cloud à énergie « propre » pour le stockage de leurs musiques en ligne.

VI – Les solutions personnelles et systémiques

On a vu au cours de ce dossier tous les plus gros problèmes environnementaux que pose la musique électronique dans ses sphères les plus larges. Il n’en reste pas moins que les solutions existent. Elles ne suffiront sûrement pas à combler les augmentations de températures terrestres et océaniques qui nous attendent dans les décennies à venir, mais il est nécessaire de changer.

Alors que faire, nous, acteurs du changement ou victimes de la dégradation ? En écoutant les scientifiques les plus prudents aux plus radicaux, nous avons notre carte à jouer. Ces actes peuvent être perçus comme symbolique, mais rappelons nous que l’immense plage est composée d’une somme de minuscules grains de sables isolés. L’acte isolé est symbolique quand l’acte collectif est norme.

En regroupant une liste de recommandations applicables à notre domaine, nous avons des choix :

  • Minimiser l’utilisation de l’avion et privilégier les transports en commun, le co-voiturage et « consommer local » en allant dans les clubs près de chez vous.
  • Ne regarder les streamings des évènements lives qu’en qualité inférieur pour économiser de la bande passante, et au mieux, trouver les stations radio qui diffusent ces événements live
  • Préférer le téléchargement des morceaux plutôt que leurs utilisations en streaming. L’empreinte générée sera amortie si vous écoutez plus d’une fois un même morceau
  • Pour les lieux qui le permettent, venir avec notre propre contenant pour éviter l’utilisation de verres en plastique sur site.
  • Limiter la data lourde pendant les événements comme l’envoi de vidéos sur Twitter et Instagram que l’on aura oubliées dans 2 mois. Si l’enregistrement d’un live se fait ressentir, privilégier l’enregistrement audio à l’enregistrement vidéo. Penser aussi à « faire le ménage » dans nos posts réseaux sociaux (même ceux d’il y a des années), qui continuent d’occuper des serveurs.
  • Regarder les politiques environnementales et énergétiques des festivals et des clubs, et se renseigner sur les actions qu’ils mènent pour lutter contre leur propre émission de pollution.
  • Compte tenu de leur relative influence, sensibiliser nos artistes préférés (et organisateurs d’événements pour ceux qui ont le bras long) sur ces questions. Cela rendra notre scène globalement plus propre. Et non, marteler sur les réseaux ce genre de discours ne casse pas les burnes. Encore moins si de plus en plus de gens s’y mettent.

Suivre l’actualité de ce sujet et de ce que font les artistes sur la question de l’environnement (limitation de l’avion, consommation de viande nulle …). On vous renvoie en bonus à cet article où on apprend que le groupe Massive Attack a commandé une étude sur le bilan carbone de l’industrie musicale.

France Inter : Quand les artistes s’engagent pour la planète, les festivals suivent.

Scorch