Analyse : Les side-projects, schizophrénie mercantile ou artistique ?

Si on vous dit Martin Garrix, Oliver Heldens, Diplo, ou encore Seth Troxler, vous identifierez facilement les producteurs et DJ dont on vous parle. En revanche, si l’on vous parle de Schwarzmann, d’YTRAM, de Hot Natured, ou encore de LSD, arriverez-vous à deviner le ou les personnes concernées par ces pseudonymes ?

Véritable phénomène auquel nous assistons depuis quelque temps, les side-projects fleurissent à vue d’oeil, avec en chefs de file Wesley Pentz, aka Diplo, avec au moins 4 side-projects connus (LSD, Jack Ü, Major Lazer et Silk City) ou encore Eric Prydz (avec 12 pseudos connus). Si certains voient cela comme une volonté de diversifier son expression artistique et ses axes de travail, les mauvaises langues crieront à la logique mercantile.

Alors, que penser des side-projects ? Est-ce une volonté de l’artiste de s’épanouir personnellement en s’évadant d’un monde pour en proposer un autre, ou est-ce une stratégie commerciale pour booster ses stats et vendre des disques ? Jetons un coup d’oeil ensemble …

I – Définition du side-project

Un side-project est comparable à des épisodes « filler » d’une série. Ne servant pas la trame principale, leur utilité est de proposer une histoire, un univers parallèle mais agissant au sein d’une diégèse commune. Le side-project permet à l’artiste de s’exprimer sous une facette différente de son identité habituelle afin de satisfaire des pulsions artistiques. Beaucoup d’artistes font cette démarche : Pryda/Cirez D, Jeremy Olander/Dhillon, deadmau5/testpilot, David Guetta/Jack Back … On remarquera curieusement que beaucoup de secondes identités explorent le côté underground du marché. En effet, la majeure partie de ces alias proposent de la techno et de la house. Mais si cela peut constituer un principe de par les faits, des exceptions demeurent : on pensera notamment au side project trance Gaïa d’Armin Van Buuren et Benno de Goeij, ou encore AREA21 de Martin Garrix et Maejor, qui explore le côté hip-hop que peut revêtir la musique électronique.

II – Pourquoi le side-project ?

Plusieurs raisons peuvent pousser l’artiste à se lancer dans un side-project.

Tout d’abord, le side-project permet à l’artiste de passer d’un style de musique à l’autre en ne sortant pas tous les morceaux qu’il produit sous une identité similaire. On imagine mal en effet une track Jack Back sous le nom de David Guetta : le public fan du producteur pourrait se retrouver perdu, comme il le dit lui-même, si une promotion similaire était appliquée à un titre Mainstream et un titre Underground.

Ensuite, le side-project permet à l’artiste, intuitu personae, d’étendre sa fanbase à d’autres publics et de bénéficier d’une liberté supplémentaire en tant qu’artiste. Par exemple, Oliver Heldens disposait d’une fanbase très à cheval sur la future house. Avec HI-LO, dont il n’a pas tout de suite révélé la paternité, il a pu constater qu’il pouvait cartonner avec un track tech, voire garage, sans pour autant que son nom n’y soit associé. Il l’expliquait par ailleurs dans une interview pour UKF en 2015 (!) déjà : en écoutant Heldens, ses fans s’attendent à du Heldens : donc à de la musique plus mélodique. Passer sous HI-LO lui offrait alors une certaine liberté, tant dans la composition des morceaux que dans les sets joués sous cet alias. Il se permettait alors, sans concession aucune, de jouer de la techno, de la tech-house … en somme, de la musique avec une bassline plus soutenue, et bien moins mélodique que ses productions sous Heldens.

A l’inverse, un side project peut permettre à un artiste (ou des artistes) très underground de remonter un peu plus en surface, en proposant de la musique plus « radio-friendly », sans pour autant délaisser ses origines. Nous citerons ici Jamie Jones, en compagnie de ses compères Lee Foss, Ali Love et Luca C, qui composent à eux quatre le super-groupe Hot Natured. Ici, exit les gros kicks énervés et la tech-house si caractéristique de Hot Creations : Hot Natured offre de la house, avec des influences disco et nu-disco qui fleurent bon les années 80-90.  Ce qui n’a pas manqué : le groupe plaçait alors l’excellent single Benediction (issu de l’album Different Sides Of The Sun) en 40ème position du hit-parade britannique en 2012. C’est ce qui s’appelle s’attaquer aux ondes radio et au mainstream ! Plus encore, l’écoute de l’album fait la part belle aux morceaux chantés, et l’on retrouvait des voix connues comme celles d’Anabel Englund ou de la légendaire Roisin Murphy. Encore un éloignement des gimmicks vocaux typiques en tech-house … ! Jugez la différence par vous-même :

Certains artistes peuvent aussi via les side-projects développer leurs styles, tout en restant de façon continue dans les charts. Prenons Diplo. Le DJ américain peut être entendu à la radio très fréquemment : que ce soit en son nom propre (l’EP Europa étant sorti il n’y a pas si longtemps), ou via ses sides, nous entendons le même artiste, mais pas la même musique. Major Lazer est plus orienté dancehall, là où Silk City se révèle plus house. Mieux encore : LSD (avec Labrinth et Sia) maîtrise tous les codes de la release pop 100% radiofriendly. Et Diplo reste encore une fois derrière les fourneaux ! Sans compter les productions d’autres pop stars sur lesquelles il n’est que dans les crédits (Drunk In Love de Beyoncé …). Cette diversification peut paraître mercantile, mais lorsqu’on connaît la boulimie de travail de Wesley Pentz, ainsi que son immense culture musicale, l’argument tombe vite à l’eau. Surtout que les tracks des différents projets ne correspondent pas aux mêmes ambiances. Watch Out For This et Electricity ne produiront pas les mêmes effets aux mêmes heures de la journée ou de la nuit … !

Enfin, certains side-projects permettent la rencontre de styles que tout semble séparer. Prenez Skrillex, adjoignez-lui Boys Noize. Dubstep, Brostep et Techno berlinoise se rencontrent. Le bébé cosmopolite naît et répond au nom de Dog Blood. Leurs releases montrent ce qui peut arriver lorsqu’on met en commun différentes cultures et types de productions. A titre d’exemple, leur dernière release (Turn Off The Lights EP) porte les stigmates de Boys Noize, avec ces éléments de garage, et Skrillex y ajoute la folie des productions dubstep (vocales et gimmicks saccadés). Deux styles qui se rencontrent finissent par en créer un troisième, hybride, à la croisée des chemins. Et qui sonne comme neuf.

III – Comment ? Quand ? Et avec qui ?

Ces questions ne trouvent malheureusement pas de réponses « logiques », vu le domaine auquel nous nous confrontons. En effet, il s’agit, pour certains artistes, de collaborer avec d’autres artistes au style similaire pour émerger en tant que superpuissance et profiter de l’utilisation de plus de matière grise. Nous pensons ici à la combinaison des DubVision et des Firebeatz, METAFO4R, dont la mélodie et l’énergie consistent en un mélange du talent des quatre producteurs. Parfois, certains artistes décident de collaborer avec des artistes à priori plus éloignés, en vue de faire découvrir leur univers à d’autres sphères d’auditeurs. Matthias Tanzmann, Martin Buttrich et Davide Squillace, 3 producteurs techno donnent Better Lost Than Stupid, un groupe qui produit plus d’Electronica alternative qu’autre chose !

En ce qui concerne le moment de former le side-project, pareil, il n’y a pas de moment idoine, seulement une saisie de l’instant présent. Prenez la Swedish House Mafia : pensez-vous réellement qu’Axwell/\Ingrosso existait déjà au moment de la disparition du groupe ? Nous pensons donc, chez Guettapen, que l’instant où les artistes décident de composer un projet parallèle et le moment ou celui-ci prend vie ne surviennent pas en même temps, et pour cause : emplois du temps discordants, tournées sur des zones géographiques différentes… Il nous semble que le moment de concrétisation définitive survient à partir de l’instant où les directions artistiques, calendriers et humeurs des producteurs concernés convergent pour ne former qu’une idée commune.

Reste la question : avec qui ? Là encore, une partie des side-projects consiste en l’association d’artistes qui disposent de liens d’amitié et de respect : Axwell/\Ingrosso, Hot Natured, GUD VIBRATIONS …

Mais ces questions peuvent également n’obtenir aucune réponse … Si l’artiste décide de faire cavalier seul (HI-LO, testpilot, Jack Back…)

IV – Qu’en conclure ?

Nous répondrons à la question sujet de l’article, et avec bienveillance bien entendu, que les side-projects consistent en une schizophrénie artistique et non clinique. Elle n’est quasiment jamais mercantile : certains artistes n’éprouvent aucunement le besoin de s’associer à un autre pour ces fins, leur nom seul suffisant amplement à générer streams, et cash par la même. Tant mieux : plus il y a de projets, plus il y a d’art, et plus il y a de musique à découvrir.

Amine X Scorch

Mino
Grooves endiablés et douceur mélodique rythment mes journées. Je passe également des disques avec l'équipe après les 39h.