Dossier : Comment se forger un esprit critique ?

Deuxième partie de notre dossier consacrée à la prise de distance de notre consommation musicale en parallèle avec notre façon de vivre. Aujourd’hui, sujet encore plus épineux : Comment être objectif ? Comment être critique ? Cet article n’a pas vocation à vous dicter la bonne action, mais plutôt à vous donner des pistes de réflexion. Si vous êtes donc intéressés par ce modeste pavé, c’est que vous avez conscience ou êtes curieux à propos de votre propre façon d’écouter de la musique. Nous allons donc tenter, à nouveau, d’apporter un peu de réflexion sur 3 « structures » (le morceau, l’artiste et le label) via deux grands principes : l’externalité et l’erreur fondamentale d’attribution.

Introduction et définitions

Brain loss and losing memory and intelligence due to neurological trauma and head injury or alzheimers disease caused by aging with gears and cogs in the shape of a human face showing cognitive loss and thinking function.

Tant de questions à venir … mais pourquoi faire ?

L’externalité, utilisée en communication et en économie, désigne les conséquences (positive ou négative) d’une action faite par un agent (une personne) sur un autre agent. Appliquée à la musique, nous pouvons la définir comme : les effets que peut avoir un morceau par sa popularité sur l’auditeur simple, à contrario de l’auditeur averti qui prendra son temps à analyser le morceau et se forger son propre avis sur ce dernier avant de consulter l’avis des autres.

L’erreur fondamentale d’attribution, utilisée en psychosociologie, consiste à accorder une importance disproportionnée aux caractéristiques internes d’un agent (caractère, intentions, émotions, connaissances, opinions) au détriment des facteurs externes et situationnels (faits). Appliquée à la musique, une cause interne pourrait être la structure du morceau, son genre, les sons utilisés, quand une cause externe peut être le message que l’auteur a voulu insérer dans son morceau, la raison de l’existence du morceau ou encore le simple fait de respecter la mode en cours, pour surfer sur la vague commerciale actuelle.

Nous allons donc appliquer ces principes à la musique électronique en suivant un schéma ascendant, quasiment pyramidale. Nous allons partir de l’étude d’un morceau, remonter à son/ses producteur(s), puis possiblement au label. Nous partons du bas de la pyramide car c’est la façon la plus commune de découvrir de la musique : écouter la radio, se perdre sur Youtube et Soundcloud, ou pour les puristes, se rendre chez un disquaire et « digger », etc… Allez, c’est parti !

I. Le morceau

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Waveform d’un morceau de musique

Quelles sont les questions maîtresses à se poser ? En voici une petite liste non-exhaustive, avec en dessous, une petite explication, suivie d’un exemple concret pour s’apercevoir que la musique est aussi bien considérée comme un produit de consommation par certains qu’une œuvre d’art par d’autres, mais avez vous seulement des arguments pour défendre vos avis ? :

« Pourquoi ce morceau existe ? »

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Tag assez éloquent

Se demander cela, c’est déjà faire un gros effort d’analyse. C’est se demander quelle est l’utilité de ce morceau. Est-il là seulement là pour divertir son auditeur ou a-t-il une portée bien plus grande ? Est-il porteur de valeurs, de messages ? Qu’est-ce qui peut bien distinguer, en termes de fond, un titre comme Jack Ü – To Ü et Jean Michel Jarre – Exit ? On peut dire que l’un est destiné à faire danser sans arrière-pensée quand l’autre, malgré son côté assez dansant, possède un vrai message artistico-politique en son sein. On voit donc que les motivations quant à l’existence d’un morceau peuvent différer quant à son utilité. Moyen de divertir ou moyen de s’exprimer ?

« Pourquoi est-ce que ce morceau a été créé en prenant compte (ou non) de la tendance actuelle ? »

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Question cruciale. Comment un morceau peut-il se revendiquer comme artistique s’il suit une mouvance qui a pour finalité de s’effondrer, de toute façon ? Telle est la définition d’une mode, d’une tendance : mourir au profit d’une autre. Si l’objectif d’un morceau n’est pas de sortir du lot et de ne rien apporter de neuf, qu’est-ce qui peut bien le différencier d’un produit de consommation ? Ensuite tout dépend, comme le reste, de ce que vous cherchez. L’intérêt ici est au pire d’être conscient de ce que nous sommes et au mieux, de se rendre compte que l’on peut « consommer plus intelligemment ». Exemple avec DVBBS – Tsunami : ce morceau, lors de sa sortie fut un carton monstrueux. Pour autant il n’a été créé que pour ça. Faire le buzz pendant un temps, à un moment crête de la vague Big Room. Mais c’est tout, pas de vocation à défier les tendances et à proposer du neuf. Cependant, il faut noter les morceaux qui sortent avec un vrai propos, une vraie ambition artistique, mais qui correspondent à la vague du moment et qui malheureusement vont se retrouver noyés dans cette vague. Nous pensons par exemple à : What So Not & BURNS – Trust, titre Future Bass exceptionnel correspondant à la mode, mais du fait de son originalité, n’a pas été conçu spécialement POUR la vague Future Bass.

« Pourquoi ce morceau est accompagné d’un clip ? Est-il là comme seul outil promotionnel ou complète-il le morceau ? »

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« Interstalla 5555 » de Daft Punk & Leiji Matsumoto

On peut très vite s’en rendre compte, certains clips n’ont vraiment aucun autre intérêt que de faire vendre un morceau. Clip contenant des femmes réduits à des objets sexualisés, des voitures de luxes qui brillent, une fête de folie où l’alcool coule à flot, des images de festivals à montage rapide (technique très utilisée dans le domaine de la publicité pour vous convaincre que la dernière Audi est vraiment géniale alors que vous ne l’avez vu que 4 secondes) ou encore un culte de personnalité. Ce genre de clips qui pullulent sur des labels essentiellement majors, en y incluant les champions dans le domaine, Spinnin’ Records. Il convient de se demander qui a voulu le clip. L’artiste lui-même ou quelqu’un d’autre ? Prenons un cas qui regroupe tous ces codes : Afrojack & Martin Garrix – Turn Up The Speakers. Peut-on faire pire que ça en termes de racolage ? Au moins, nous pouvons constater ici qu’il s’agit bien d’une preuve de soumission de ces artistes (à ce moment-là) à Spinnin qui détient les droits des morceaux créés au sein de leurs locaux et qui les promeut de la manière qu’ils veulent, aussi réductrice soit-elle. Alors que si l’on prend un clip comme : Party Favor & Dillon Francis – Shut It Down, on y voit certaines formes d’art dans la mesure où le clip, racontant comment deux stagiaires se vengent de leurs humiliations, est en accord total avec l’univers complètement WTF des artistes, tant au point de vue personnalité que musicale.

Enfin autre exemple, un cran plus sérieux : Daft Punk – Prime Time Of Your Life, véritable critique de la télé, de la conformité, où une jeune fille veut ressembler à tous ces copains, famille et présentateurs télés squelettes en se mutilant. Clip à tendance dénonciatrice et complémentaire de leur musique, c’est ce genre de clip qui franchit le cap entre outil promotionnel et véritable œuvre complémentaire.

II. L’artiste

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David Guetta en studio

Passons aux questions à se poser sur l’artiste, sur le producteur, sur le commanditaire du morceau ou de l’album. Ses motivations prioritaires sont principalement artistiques ou commerciales, ce qui définit en théorie son titre d’artiste ou de businessman. Quand vous achetez un morceau, quand vous allez à des festivals et clubs où cet artiste se produit, vous lui donnez indirectement votre argent. De ce simple constat découle une question un peu plus tordue : à quel genre de personnage accordez-vous votre attention ?

« Est-ce que l’artiste est indépendant ? »

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Paula Temple dans son « bedroom studio ». Pas le grand luxe mais suffisant pour sortir des tracks très propres

Question vitale : est-ce que l’artiste est libre à 100% de ses créations ? En étant libre, il peut donner libre cours à ses pulsions, sans obéir aux codes radiophoniques par exemple, et sa politique de charcutage des œuvres avec les Radio Edits, comparable à vous proposer le 2ème quart de « Interstellar » sans regarder avant et après ce bout de film. Être indépendant dans le monde de la musique électronique en 2017, c’est le parcours du combattant, on l’accorde volontiers. Cependant, à terme, quand un artiste n’a plus la moindre pression hiérarchique au-dessus de lui, la magie opère et de l’innovation sort souvent de cette volonté d’avoir une vision différente de celle de la norme, des grands labels, des tendances, de la mode. Mais il peut très bien arriver l’inverse. Prenez le cas de The Chainsmokers : auteurs de « Erase », « #Selfie » et « The Rookie », citant deadmau5 en tant que raison principale de commencer à produire, comment ces artistes sont passés d’un style où ils avaient leur patte bien agressive à « Roses » ou « Paris », titres pop sans saveur, en accord total avec l’industrie et la mode ?

Excellent contre-exemple qu’est deadmau5 : ayant débuté sur la major « Ultra Music », ce dernier est maintenant 100% indépendant avec son label tout en avouant qu’il s’était fait avoir (pour rester poli) par Ultra lors de son contrat. Libre de ses créations audio-visuels, distributions et marketing avec son équipe, un mot est donc vital : l’intégrité.

« Comment l’artiste gère l’argent qu’il touche via sa musique et ses shows ? »

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« EPIC 4.0 » de Eric Prydz

Participer au show d’un artiste, lui accorder votre importance, votre confiance et votre argent, c’est du temps. Mais comment le rend-t-il en retour ? Amasse-t-il son argent encore et encore, accumulant les dates en faisant pleuvoir les chèques à six zéros pour son confort personnel, ou au contraire, en fait-il bénéficier les autres, les fans, les boîtes technologiques ? A moins que vous puissiez vous en moquer ? Quoiqu’il en soit, c’est une question que l’on peut se poser si vous vous souciez de l’artiste en question. car beaucoup abusent de leur statut quasi-divin lors de leur demande de riders, véritable liste de courses pour satisfaire leur confort pré et post-prestation. Prenez l’exemple de Jack Ü, dont le rider avait fuité sur Internet.

N’est-il pas malheureux de se dire que probablement, les sous que vous aviez dépensé pour aller un festival ou un show, allaient être indirectement dépensé dans la bouteille de whisky de Diplo par pur caprice ? Et justement, parlons des shows (pas de festivals, ici, nous parlons vraiment des concerts). Comment sont-ils construits ? Qui les finance ? Que proposent-ils ? Quelle est la différence entre un show de Dimitri Vegas & Like Mike et un show de Eric Prydz ? Déjà, en comparant les deux, une chose saute assez vite aux yeux : chez le duo belge, la véritable star, c’est eux et eux seuls. En témoignent leurs prises de micro constamment à chaque drop, histoire de rappeler que l’on vient pour eux et eux seuls. Quant à un concert type EPIC de Prydz, ce n’est pas l’artiste qui saute aux yeux, c’est le décor, les visuels. Le rapport entre l’intérêt de voir Prydz et l’intérêt du concert en lui même est vraiment pas loin du 50/50 (à l’instar de deadmau5 et son cube 2.1).

Le but étant, en tant que passionné de musique, de trouver des artistes aussi passionnés dans la production de leurs morceaux que dans l’élaboration de shows vraiment personnels, uniques. Fun fact : les concerts EPIC et cube 2.1 sont financièrement déficitaires, preuve que le but de ces shows est aux antipodes de la rentabilité et entièrement tournés vers les fans et la recherche technologique. Reste à voir si vous reconnaissez un intérêt là dedans aussi.

III. Le label

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Spinnin Records, quelle politique artistique et financière ?

Que cela soit une major ou un petit label indépendant, les artistes en ont encore besoin pour distribuer leur musique efficacement. La question à se poser concerne la part d’implication, dans la production de l’artiste, du label en question. La question de l’argent  va être centrale dans ce chapitre :

« Quel est le deal entre l’artiste et le label ? »

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Liste-exemple de « qui détient qui » en termes de labels

Les labels majors sont, pour la plupart, détenus par des gens n’ayant aucun passé artistique. En effet, ces employés forts de leur cursus en management, finance, banque, communication sont là pour faire du business et c’est une de leurs principales raisons d’être.

Prenons l’exemple d’Universal, Sony ou encore, le géant Spinnin’ et ses innombrables releases, structures existant uniquement dans un but purement lucratif et non pas, dans la plupart des cas, pour voir éclore de jeunes talents prometteurs et les accompagner dans la durée sans avoir comme arrière-pensée de les essorer jusqu’à ne plus en tirer le moindre profit (nous disons bien, dans la plupart des cas). En revanche, lorsqu’une sortie apparaît sur des labels comme GURU, mau5trap, Green, Suara ou encore le récent label du français Tony Romera, SANS MERCI, elle suit très souvent une éthique, un style, une patte, une identité musicale. Ce genre de labels, indépendant de toute structure type major, n’hésite pas à mettre en lumière de jeunes artistes en leur apportant une certaine attention mais sans avoir non plus à l’assister.

La différence de l’échange entre majors et labels indépendants est donc énorme : l’un est là pour faire de l’argent sans forcément prêter une attention particulière à ses artistes, l’autre est là pour créer un véritable lien entre l’artiste et lui, du moins n’a pas cette volonté d’essorage financier. Nous estimons qu’il est important de se renseigner quant à la probabilité de la légitimité d’un artiste lorsque la question du label vient à se poser.

Un artiste signe dans une major, y est régulièrement produit, bénéfice d’une couverture médiatique importante. Posez vous des questions quant à sa liberté. Car les contrats ne vont jamais que dans un seul sens, niveau profit.

IV. Conclusion

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Ne vous laissez pas dicter la loi du bon goût par la masse !

En effet, comment ne pas conclure par le conseil ci-dessus ?! Bien qu’il soit très simple de prétendre donner des conseils et des orientations, ce type d’article n’a que pour vocation de souligner certains aspects de notre société de consommation actuelle, que l’individu la voit de façon positive ou négative. Au final, qu’appelle-t-on le « négatif » ? Est-il vraiment présent autour de nous ou est-ce les effets d’un comportement de masse engendré par un manque cruel de personnalisation en son sein ? L’éclectisme pourrait éventuellement être une bonne piste de réflexion positive à toutes ces questions.

Nous vous avons fourni une liste non-exhaustive de questions que vous pourriez vous poser si jamais l’envie de faire cet exercice de réflexion vous tente. Nous sommes conscients aussi que cet article est fastidieux à la lecture mais afin d’être le plus crédible et respectueux envers ceux qui nous lisent, l’argumentation est vitale, tel les maillons d’une chaîne menant d’un bout à l’autre d’un raisonnement. Enfin, nous sommes aussi curieux d’entendre vos débats en commentaire et les questions supplémentaires que vous pourriez proposer à la communauté.

Scorch x Taylor